Lambert et Hayat, 1928

la synagogue de Enschede, au Pays Bas, la ville jouxte la frontière allemande, elle est à 60 kilomètres de Münster. consacrée par le grand rabbin Hirsch le 13 décembre 1928, vitraux et mosaïques ont été réalisés sous la direction de Lambert Lourijsen, prix de Rome en 1911. en 1941, il y eu une rafle, 700 des 1.200 membres de la communauté juive périrent. reste la synagogue, la mémoire et les noms.

en 28, j’avais 42 ans, Jan Toorop m’avait tant parlé de l’Indonésie, des Indes néerlandaises, disait-on alors – sa ville, Batavia, sa difficulté d’être après ces ors, ces corps. débarqué ici. que faire ? la clairvoyance qu’il eut un jour, l’évidence du trait, souvenirs dorés de sa province de Java, c’est ainsi que ses fantômes perdurèrent, leurs traces stylisées. plus tard, il fut l’intime de Verhaeren, connu Whistler. moi, je voyais le trait mais c’était trop flou, je voulais de la matière. pas devenir peintre. Toorop disparut, dix ans plus tard, il était mort. qu’est-ce qu’il me restait ? il me restait ses lignes de fuites, n’être jamais véritablement d’ici. j’eus l’idée de tracer mes formes avec de la matière, de la matière rugueuse, de la pierre, des éclats, des choses cassées, rectifiées, figées à demi dans du béton ou dans la pure lumière. des éclats capturés. on m’appela à Enschede, j’y rencontrai Hayat, très jeune encore, si doué pour le modelage, il me fit découvrir un monde inconnu, plus ancien que ma pensée. je retraçai ses lettres du mieux que je pouvais. il révisa tout, on ne le cita pas cependant. on traça un chevreuil en l’honneur du rabbin. un grand moment, la consécration de cette synagogue de Enschede, un lieu qui me dépassait de beaucoup – c’était le 13 décembre 1928. je sais ce qui s’est passé ensuite. la rafle, treize ans plus tard, jour pour jour. cette fois on inscrivit son nom sur une liste, celle de ceux qui ne revinrent pas. c’est tout ce que je peux dire. on ne peut pas en dire grand chose. son nom est inscrit quelque part : Hayat – peut-être était-ce son prénom. je l’ai toujours appelé comme ça. je n’y suis jamais retourné.

23/3/23