Ibant obscuri sola sub note per umbra
Après les accumulations, on fait table rase – et il reste toujours quelque chose. On fait le vide dans une pièce mais pas en nous. On compte ceux qui nous accompagnent durant le voyage, pour un moment ou plus longtemps, selon les diverses intensités des événements. Il est certain que nous nous tenons là, dans l’instant aveuglant, au point le plus obscur de la nuit, comme en plein jour. Nous ne formons pas un groupe, nous agissons cependant, liés par le lien méconnu d’une magie que nous saisissons. « Ils allaient obscurs, sous la nuit solitaire, à travers l’ombre » (L’Enéide, chant VI). Nous supplions les Forces de nous maintenir dans notre puissance, c’est-à-dire dans la joie et la rage.
Quelque chose de la communauté mais pas celle repérable des nouveaux humanistes désarmés, ni celle de ceux qui regardent en arrière, le regard révulsé dans leur propre crâne et qui rêvent d’en finir au plus vite, ni ceux encore qui s’agrippent à leurs propres ossements. Les liens sont décelables dans l’instant, bien qu’inexplicables par le discours. Cela existe.
Beaucoup d’autres choses existent que l’on doit ignorer sous peine de ne plus continuer à vivre, ainsi on ne sait que ce qui adviendra, personne ne pourrait survivre à la connaissance de ce qui sera. Et personne pour le savoir. La petite magie gratte ces Royaumes, n’obtenant rien, en réalité, comme il se doit. Des voix nous parviennent cependant, dans l’émergence d’une création qui dépasse. Voilà pourquoi nous sommes ici. Et la chair de notre chair, parfois, ce qui continue lorsque nous arrêtons. Nous, nous arrêtons au seuil.
Les modèles sont loin, ils ont dû, par la force des choses, être dépassés, nous serions restés en leur sillage, sans quoi, impuissants et vains. J’ignore ce que nous sommes cependant, sans père, sans modèle, sans frère, souvent, sans soeur, errants. Nous nous tenons en nous-mêmes et ce nous-même est laid, parfois, sombre, avec sa petite grandeur ou sa grandeur en de rares occasions, mais il nous faut écrire et créer sans cesse sinon c’est la mort.
Ce qui est proposé est le Cinquième saison, celle qui nous lie et nous disperse. C’est un flux où l’image et le son s’intensifient en même temps qu’ils se dissolvent. On voit à travers un trou d’épingle alors – sans doute voit-on mieux. On pénètre dans des espaces par le chas d’une aiguille, nous sommes le son et nous sommes le flux.
D’abord, tout doit se passer in camera, cette chambre sera nommée « 111 ». Il y a un autel, là, c’est-à-dire une énergie. La puissance commune crée une autre dimension, on ne sait qui pousse l’autre, cependant que le film émerge. Images émergentes, sons émergents. Plus que la vie, ce qui fut défait se fait autrement. L’art consiste à montrer son vrai visage.
L’orbe des images-idées furent appliquée sur la surface du mur blanc. C’est ainsi qu’est composé un film-monde.
Ce que l’on nomme familièrement ‘autel’, est l’ensemble des objets, éléments, livres de références, enregistrements publiés, liens, notes personnelles.
La voie se montre de cette manière. Nous sommes des êtres de chair et de sang, avons des parents vivants ou morts, pour certains d’entre nous avons, des enfants , il y a de la joie dans ce processus, de l’inéluctable aussi, comme une chaine faite de mailles, ça casse parfois. Mais éminemment seul – observant trop – finissant par s’éveiller un jour dans un puits de solitude. Tout part de là, dans ces liens parfois brisés et ces liens qui nous relient au monde. La question émerge ailleurs ou ici même – c’est à travers le rêve d’un film et de sa construction que la vie se dévoile. Le temps construit ce réel. Et nous passons à travers ces temps qui plient, comme le vent à travers les nuages. Nous ne serons jamais plus vivant qu’à cet instant – dans le devenir de soi – on tend vers… mais c’est beau, aussi, cette dissolution. Et surtout, nous n’y pouvons rien. Rien ne peut y faire, pour le dire autrement. Avoir connu l’amour, la passion et la désespérance font que nous sommes prêts à investir le tunnel. Les films sauvent du temps alors que le corps se dissout. Le cinéma est l’art des spectres. Sans spectres, pas de film. Les temps emmêlés atteignent leur but et nous, toujours sur le seuil, observons jusqu’à ce que nous basculions de l’autre côté du monde. Là où personne n’est mort. Voilà le sens de la construction d’un film – et voilà aussi le sens de sa vision. Nous sommes le Temps.
Bruxelles, le 14 août 2018, écrit pour Dominique Lohlé