flou

Dimanche, on va voir des os. On pique-nique aux étangs et on file au musée. J’aime la salle du secondaire, les os noirs des iguanodons, les barrettes de fer rouillé qui leur servent de tendons. C’est beau, la fausse boue dont ils s’extraient.

On entre par la porte capitonnée. Le bureau est au premier étage. Il existe deux pièces qui n’ont pas d’utilité apparente. Elles sont presque vides. Dans la première, trois fauteuils de cuir sombre sont disposés en demi-cercle. Il n’y a pas une plante, pas l’ombre d’une maquette, sur aucune table, un trait de crayon, une esquisse à la plume ou au Rotring. Il n’y a pas un livre. Face à eux, l’opacité ouatée d’une fenêtre, clarté lumineuse qu’absorbe bien vite l’obscurité combattante. Un vase vide soutient une photographie du Lake Shore Drive.

Derrière, là où l’oeil maintient difficilement le contour des choses, se tient une statue. Cette statue est floue. Il n’est d’aucune manière possible de la percevoir de façon nette. Il s’agit d’une idole grimaçante dont le corps informe soutient une tête oblongue creusée d’yeux, de traits attribués à un être humain. En scrutant, on percevra sans doute, une zone plus claire sous les orbites et autour du menton. L’ensemble donne l’impression d’une longue douleur non totalement exprimée.

Cet espace vierge de sons, fussent-ils délicieusement dissonants, semble, pour l’heure, suspendu dans l’air immatériel.

Les fauteuils, la photographie, le vase, l’obscurité et le flou de cette statue… Je voulais simplement décrire, le plus fidèlement possible, l’état d’une des pièces de réflexion de Mies van der Rohe quelques heures après sa mort.

COMMENTAIRE
flou fait partie d’une série de 63 textes publiés à 18 exemplaires en 1997. j’en publierai de temps à autre en indiquant d’où ils proviennent.