
mon père ne s’est pas battu contre sa maladie, à la fin, il ne s’est battu pour rien. ô à la fin, il n’a ragé contre rien. dans la lumière de la cuisine ou dans les ombres de la chambre, toute fenêtre close, ainsi les jours sont passés et puis ça a commencé à être la fin.
les mouches mortes depuis des mois contrarient un bout de papier d’argent dont il avait fait une moulure. une seule assiette posée sur la table, sans cesse utilisée, lavée et un verre, un seul (pour la bière, l’eau, le vin). il est revenu, il est là, il se retourne sans sommeil dans son lit détrempé. si on se revoit, tu me paies un chocolat, il est mat, chocolat bleu pâle, ivre, fait (les jours de ducasse, au village).
à la télévision, des gens racontent comment ils ont écrit leurs histoires d’amour et pourquoi. ils disent ce qu’est l’amour, selon eux. sur une autre chaîne, il y a du foot mais ça se passe à l’étranger et c’est moins intéressant. importance de sa comptabilité, de ses comptes. aujourd’hui, il saisit ses cachets dans une boîte, sa main devenue toute osseuse. il aurait aimé voir les trois ténors, ces voix là. partir dans le silence avec des bouches qui se meuvent si bien en gros plan, des bouches entourées de barbes, avec un mouchoir pour les essuyer. Louis Armstrong qui s’éponge le front, après le rappel, Harry James (son préféré) range sa trompette dans son étui.
des gens prenaient le train, le bus, alors que nous, on attendait sur le bord de l’autoroute d’être dépannés par Touring Secours. sa bâche (aujourd’hui perdue), ses outils (perdus), son assurance et sa taxe radio (déchirées), sa couverture écossaise (égarée). il y a des trous dans les murs, le parquet crisse. mon chat est malade, il refuse de manger, il se lève, va jusqu’à son écuelle, s’approche, ouvre la gueule puis s’en va se recoucher en silence. je le sens inquiet, privé de sa mince raison d’être (depuis qu’un tout jeune chat a débarqué dans l’appartement voisin). il me regarde comme s’il voyait à travers moi, fronce les vibrisses. des choses grincent au grenier. j’appréhende, cette nuit, que ce chat fût mon père.
sa voix résonne en moi, c’est son grain, ses inflexions (cependant que pas un mot n’a de sens). lorsqu’on a soif et que l’eau n’est pas potable, il suffit de placer ses poignets au-dessus du robinet, l’effet est le même… j’ai beau regarder dans le miroir de la salle de bain, son visage ne m’apparaît pas. j’écoute le bruit de la ville, un train s’éloigne dans le lointain. de 1926, comme Miles Davis. certains lundis, à Givet, à Chooz ou à Revin, de bon matin, ses affaires de pêche sont prêtes dans le couloir, à quatre heures, il se lève et il part.
septembre 2002