Trois conversations avec Henri Pousseur (en vue du tournage ‘Hommage au sauvage’)

premier dialogue : Waterloo, le 22 juillet 2003

parlons de ‘Trois visages de Liège’…

y a-t-il lieu de parler des préalables ? peut-être rapidement…

je pense que oui, parce qu’en fait, tout cela n’a pas lieu n’importe où, il y a quand même un contexte historique et social très présent et très fort…

et aussi musical et esthétique…

certainement oui, c’est un ensemble

cette oeuvre date de 1961, elle fut composée pendant les premier mois de 61 et créée, diffusée la première fois en mai – et puis éliminée par les autorités communales de Liège. vous savez que les dix années précédentes, les années cinquante, étaient les années où les gens de ma génération ont eu une attitude particulièrement rigoriste et exclusive, très étroite dans leurs choix et leurs interdits. Boulez ayant été certainement le pape de cette interdiction, un peu comme Breton pour le mouvement surréaliste. il était très anti-Breton mais il avait un comportement, pas du tout au niveau poétique mais au niveau politique, un comportement assez proche… (rires)

cette bagarre esthétique était donc liée à une bagarre politique…

pas politique dans un sens de politique politicienne, non

parce qu’il me semble qu’une révolution esthétique est souvent accompagnée – on l’a vu chez Dada, on l’a vu avec les surréalistes – d’une vue politique…

c’était lié à l’époque, c’était lié à la fin de la guerre, à toute l’effervescence positive qui en était sortie, mais aussi à la volonté de renouvellement, à l’expérience des horreurs, des catastrophes – qui avait déjà influencé la musique des Viennois avant la première guerre mondiale, les pièces de Berg pour orchestre datent juste d’avant la première guerre et c’est une espèce de prémonition de ce qui va se passer. Tandis qu’ici, c’est plutôt, je dirais, une esthétique dont la philosophie politique est marquée par l’échec de l’idéalisme humaniste – occidental – qui a prouvé qu’en voulant réaliser l’Harmonie, dès avant la Révolution française, il avait, au contraire, créé de nouvelles oppressions et de nouveaux mouvements destructifs… qui aboutissent à ces grandes guerres du vingtième siècle. nous étions très marqués par cela à ce moment-là, peut-être même inconsciemment, mais je crois à cette volonté de réprimer l’esthétique – surtout l’esthétique romantique et post-romantique – mais aussi le langage tonal qui est bien plus ancien tout en appartenant lui aussi à une première phase de l’humanisme idéaliste, dualiste, rationaliste, métaphysique…

pour vous, le sérialisme est donc lié à cette révolte esthétique et politique…

moins politique au sens strict des partis (il n’y avait pas association), que socio-politique ou socio-philosophique…

une première révolution, mais la révolution purement électronique en est une autre…

pour moi, elle en fait partie ! le point de départ de l’électronique, c’est à l’intérieur de cela. mais c’est très complexe. tout cela à des racines dans l’entre-deux guerre et même avant, l’électronique prend ses racines chez les musiciens futuristes, Varèse, les premiers essais de la radiophonie…

oui, tout ceux qui ont pensé le bruit…

et puis la musique concrète à Paris et la Tape Music aux Etats-Unis. Je ne vais pas vous détailler, vous connaissez bien… mais déjà quand j’ai rencontré Boulez en 51, il avait fait ses deux petites études en musique concrète, là, au Club d’Essai. il était insatisfait et avait tout de suite rejeté cela parce qu’à son avis c’était beaucoup trop empirique – empirique dans le mauvais sens du terme

dans le sens du matériau

il n’y avait pas une connaissance ni une pénétration du matériau qui eut permis de l’intégrer compositionellement au langage…

ce questionnement se poursuit toujours aujourd’hui…

oui, oui, oui. il y a eu une volonté de trouver des moyens beaucoup plus rationnels, plus scientifiques, mais le but – à mon avis et en tout cas dans mon chef, d’abord inconsciemment puis de plus en plus consciemment – n’était pas un but de contrôle rationnel. chez Stockhausen, ce l’était davantage, bien que, malgré tout, c’était pour produire de la musique. mais enfin, il croyait que le contrôle rationnel absolu était indispensable. il fallait partir des analyses de Fourrier – les analyses harmoniques de Fourrier pas les intégrales – pour refaire l’inverse en travaillant uniquement avec des sons sinusoïdaux. et donc les tout premiers travaux – comme mon petit ‘Séismogramme’ (1953-54) – ont été faits dans cette perspective-là. Boulez, quand il a entendu les premières études de Stockhausen, a trouvé que c’était beaucoup trop simple, trop transparent et qu’il fallait avoir une technologie beaucoup plus complexe. il a attendu plus de vingt ans pour créer l’IRCAM et pouvoir enfin s’y mettre. c’était son choix. donc, nous avons, nous, Stockhausen, Berio – qui a fondé son studio à Milan avec Bruno Maderna – et moi – qui ai créé un studio, ici, à Bruxelles en 58 (c’est là que j’ai fait ‘Rimes’) – très vite, nous avons vu qu’il fallait abandonner ce rigorisme électronique – je parle de l’électronique pour le moment – et qu’il était indispensable d’avoir recours à des sons qui aient quand même des propriétés plus affirmées, plus qualitatives… parce que ce que l’on cherchait, c’étaient quand même les qualités sonores et non pas simplement les rapports de quantités qui les composent et qui les portent en quelque sorte. dans ‘Le Chant des Adolescents’, ‘Gesang der Jünglinge’ (1955-56), Stockhausen a utilisé, non seulement une voix de garçon qu’il a multipliée, mais aussi des sons électroniques autre que des sinusoïdaux, des ondes rectangulaires et du bruit blanc qu’il s’est mis à filtrer.

là, on est davantage dans une composition électronique ou électro-acoustique…

oui, dans la mesure où il y a une voix en plus, ça devient…

un peu plus hybride, moins pur…

oui, moins exclusif… ‘Scambi’ (1957), c’est un travail à partir du bruit blanc, sur l’irrégularité, la non-périodicité appliquée jusqu’à l’intérieur des vibrations sonores. Mais en écoutant les résultats où j’avais utilisé une chambre d’écho naturelle qui avait des résonances privilégiées – j’ai entendu des colonnes d’harmoniques qui se reconstituaient… ça m’a aidé aussi sur un autre plan. et puis, il y avait aussi, au départ, un principe d’abstraction, de non-figuration. même Stockhausen a émis des idées comme quoi les sons électroniques n’avaient aucun rapport, ni avec des sons instrumentaux, ni avec des sons naturels…

bien sûr, puisqu’ils sont créés presque de rien, du secret d’une machine

oui mais dans ‘Gesang’, il y a, non seulement une voix que l’on reconnaît très bien, qui dit des mots que l’on comprend mais, en plus, la musique illustre le chant des adolescents dans la fournaise, on appelle l’ensemble de l’Univers à louer le Seigneur… j’ai aussi écrit des articles sur le côté réaliste des sons électroniques. effectivement, le fait est qu’il n’y avait plus nécessairement de liaisons instrumentales (ce qui s’est reconstitué alors dans les synthétiseurs qui imitaient plus ou moins les instruments) mais notre travail de studio, c’était d’éviter cela le plus possible. La plupart du temps du moins, sauf exception, le fait est que l’oreille – et pas seulement l’oreille mais tout le processus d’écoute – cherche des sources, cherche à relier les sons qu’il entend, à une expérience du sonore, dans l’univers, dans le monde…et que donc, il y a toute une imagerie mentale qui se crée autour et qui peut être très variée selon les sujets. ce n’est pas du tout la position que Schaeffer avait adoptée et qui a donné naissance au groupe GRM et à ce qu’ils ont appelé l’acousmatique, qui ne peut s’écouter que pour le son sans liaisons avec l’extérieur, alors qu’à mon avis c’est beaucoup plus complexe que cela.

mais vous, vous n’aviez aucun rapport avec eux…

très peu, enfin, je les ai invités à la Semaine Expérimentale en 58…

Luc Ferrari, je crois, était là…

Luc Ferrari et Pierre Schaeffer et d’autres gens, c’était très… œcuménique, ça ne voulait pas marcher dans la polémique, c’était déjà dépassé. dans ‘Les Rimes’ (1958-59), j’ai fait un travail où j’essayais de fondre complètement un orchestre avec la musique électronique, donc, les sons électroniques étaient faits, en partie, à partir de sons instrumentaux, surtout de percussion. mais d’autre part, il y avait une palette dont l’un des côtés était le plus proche possible de l’instrumental ; et l’orchestre, lui, à partir de ses sons parfois les plus reconnaissables et purs, allait jusqu’à un point où ça devenait des bruits, par les mélanges… il y avait donc un zone complètement commune entre les deux, ce qui fait que la troisième pièce n’avait plus besoin de bandes électroniques mais pouvait rester dans le champ sonore d’ensemble, tout en ayant que l’orchestre. dans la première pièce, il y avait les cordes et les percussions sur scène et une bande monorale que je distribuais entre trois points – un derrière l’orchestre et deux derrière le public, de chaque côté. Pour la deuxième pièce, on ajoutait des vents, d’autres claviers qui se sont mis autour du public, en trois ou quatre groupes, derrière et sur les côtes : derrière il y avait des percussions, marimba etc. et sur les côtés, les vents… Pour la pièce finale, il n’y avait plus que l’ensemble instrumental. Entretemps, Stockhausen avait écrit les Gruppen pour trois orchestres (1955-57). Et d’autre part, dans Kontakte (1958-60) qui date à peu près de la même époque que Rimes, il y avait, d’une part, des sons qui ressemblaient pas mal à des sons instrumentaux, à des marimbas, des clochettes, à toutes sortes de sons percussifs ou alors à des bruits de la nature, de l’industrie, c’est une sorte de grand paysage en mouvement, c’est une œuvre admirable que j’aime beaucoup et qui m’a beaucoup marqué. Et dont on trouve des échos dans Trois Visages de Liège. Je le reconnais très volontiers. Mais c’est autre chose parce que chez Stockhausen, c’est fait avec une nouvelle technique qui consiste à ne plus vouloir additionner des sinusoïdaux simultanés mais à travailler sur des micro-éléments temporels, des impulsions, c’est-à-dire une espèce de prémonition du système numérique. Exactement. Il a monté des impulsions, isolées, selon certains rythmes, fait des boucles et puis accéléré considérablement et obtenu comme cela des sons magnifiques, très complexes…

qu’en est-il de Rimes, conçu au même moment ?

la création de la version intégrale des trois mouvements de Rimes ? Parce que l’on a créé les trois mouvements l’un après l’autres – le premier qui est de 4 minutes – c’était à la Semaine Expérimentale de l’exposition Universelle de Bruxelles en octobre 1958, la deuxième, c’était lors d’un concert de l’INR que devait diriger Hans Rosbaud (1) ; mais il était malade et c’est Boulez qui l’a remplacé – et si ce n’est pas le premier c’est en tout cas un des tous premiers concerts d’orchestre symphonique qu’il ait dirigés. en été 59, à Aix-en-Provence, en plein air, avec les scènes de Wozzeck et peut être une pièce de Bartok. Il connaissait déjà la première partie car il était venu diriger un orchestre de chambre à la salle de musique de chambre du Palais de Beaux-Arts (de Bruxelles). C’était Robert Wangermée qui était sous-directeur de la musique à ce moment-là ; il m’avait demandé de le programmer et j’avais imaginé « Autour de Mallarmé ». Mallarmé était vraiment le poète-phare pour nous, à l’époque. Il y avait les deux premières improvisations de Boulez sur des poèmes de Mallarmé qui sont devenu deux des trois de Pli selon Pli (où il y a aussi un prélude et un postlude), il y avait les Mallarmé de Ravel, il y avait les Bilitis de Debussy que l’on venait de retrouver – pas les Billitis avec piano, les mélodies, mais les Bilitis récités, avec un petit ensemble instrumental. Puis, il y avait l’Opus 24 de Webern, le Concerto pour 9 instruments – qui était très mallarméen dans notre esprit. La deuxième partie étant la Sérénade de Schönberg, Sérénade Opus 24, où il y a un baryton qui chante un sonnet de Pétrarque. Tout cela me paraissait cohérent. la reine Elisabeth était venue écouter, elle s’était fait présenter Boulez. Le lendemain, nous étions, Pierre Boulez, Marcelle Mercenier, qui était une grande amie commune, et moi, allés visiter Brugge, c’était en février, dans les brouillards, c’était formidable. On a été manger un waterzooï au Ducs de Bourgogne (rires) et on est revenu en train, seuls dans le compartiment, jouant à un jeu de dés, le 421… (rires). Puis on a été au studio de musique électronique et là, nous avons été écouter la deuxième sonate de Boulez par Marcelle, qui l’a laissé complètement admiratif, et la première partie de mes Rimes qu’il a beaucoup aimée. J’étais alors en train de travailler à la deuxième partie mais on ne savait pas encore que c’était lui qui allait la diriger à Aix. Et c’est là, à Aix, qu’il m’a dit : il faut écrire une troisième partie pour faire un ensemble que l’on pourrait faire créer par l’Ensemble du Domaine Musical à Donaueschingen, en octobre de la même année – ce qui a été fait.

on parle là de 58-59 et à cette époque-là il y avait bien peu de pièces qui combinaient un double aspect électronique et orchestral…

  • C’était la première pièce avec orchestre, qui au départ était de 20 musiciens, puis 35 au bout du compte. Dans la troisième, il n’y a plus d’électronique. Dans la première, il n’y a que les cordes et les percussions sur le plateau. C’était une commande de l’orchestre internationale des Jeunesses musicales que Scherchen devait diriger. Il devait faire un concert avec cet orchestre, en été, à l’Exposition. Il y avait le Sacre du Printemps, une pièce de Xenakis pour un ensemble à vent et moi, on m’avait demandé d’utiliser uniquement cordes et percussions. J’y avais ajouté de l’électronique et Scherchen (2) était tout à fait d’accord, il avait lui-même un studio à Gravesano. Mais il s’est tellement disputé avec les étudiants – qui ne venaient pas régulièrement aux répétitions parce qu’ils allaient voir l’expo… qu’à un moment, il est parti en claquant la porte. Moi, ma pièce n’étant pas jouée, je lui ai écrit une lettre d’injure (rires) d’injure ou de reproche, disons, mais assez dure. On ne s’est plus jamais parlé. Je ne sais pas très bien quand il est mort mais pas très longtemps après cela. C’est ainsi que la pièce a été reprise dans le concert de la semaine expérimentale en octobre et c’est Bruno Maderna qui l’a dirigée et c’est lui qui l’a enregistrée en 59 ou 60 sur un vinyle du coffret La musica nova, pour RCA.

quelle était votre technique pour Trois Visages de Liège ?

pour Trois Visages de Liège, comme pour les pièces d’avant, d’ailleurs, Musique de Film et Rimes, en particulier, j’ai utilisé les moyens que j’avais à ma disposition et c’est l’oreille qui décidait. J’avais des générateurs de sons sinusoïdaux ou d’ondes rectangulaires ou triangulaires, un filtre de tierces que nous avions bricolé à partir d’un vieux spectrographe Siemens, c’était dans un studio de la SBR, avec du vieux matériel d’analyse de la SBR, Société Belge de Radiodiffusion, qui a été repris par la suite par Philips. Il y avait dans cette maison un ingénieur, Raymond Liebens, qui était extrêmement doué et sensible et qui a fait du très bon travail et m’a beaucoup aidé en particulier pour Trois Visages… A côté de cela j’avais un vieux Modulateur à anneaux pas du tout orthodoxe qui me donnait des sons que j’aurais été incapable de définir dans leur composition mais qui étaient magnifiques, et je les prenais comme des…

comme de nouveaux instruments…

oui, voilà, je choisissais mes sons et puis je travaillais dessus.

c‘était donc une pièce en trois partie, une pièce historiquement importante…

minute, il y a autre chose. fin 58, j’avais quitté l’enseignement, j’étais professeur de musique à Eupen, à l’athénée, y compris dans les petites classes parce que je parlais l’allemand, j’avais alors obtenu un emploi, il le fallait, pour gagner la vie de ma petite famille qui commençait déjà à se démultiplier (rires) J’avais obtenu un congé pour l’Expo 58, pour créer le studio, faire les travaux… mais après l’Expo on a plus eu assez de travail et j’ai dû reprendre du service dans l’enseignement Heureusement, j’ai eu un intérim à Forest et j’ai pu rester à Bruxelles, je ne voulais plus retourner à Eupen parce qu’il fallait rester dans un milieu favorable à la production culturelle. Je travaillais beaucoup avec la radio. Fin 59, on m’a demandé de revenir à Eupen ou de quitter et j’ai dû quitter. Heureusement j’ai obtenu alors une série de commandes qui m’ont occupé pendant trois ans, et au même moment, j’ai commencé aussi mon projet Votre Faust (1961-67). Il y a donc eu un grand tournant dans ma conception. Parmi ces commandes, il y avait une commande électro-acoustique qui était la musique d’un ballet pour la chorégraphe Jeannine Charrat qui devait être représenté à la Monnaie que dirigeait alors Maurice Huisman, et à la télévision naissante. C’était une Electre (1960), une Electre d’après Sophocle, un ami de Jeannine Charrat en avait fait un livret resserré et très mal traduit, à mon avis. Je l’ai réaménagé, ce qui a beaucoup fâché l’auteur d’ailleurs…(rires) C’est alors que j’ai travaillé en studio sur les voix de quelques acteurs que j’avais enregistrés, et sur les sons d’un ensemble instrumental ; je n’ai pas utilisé de sons électroniques proprement dit, j’ai transformé des éléments vocaux par un travail considérable jusqu’à ce que ce soient pratiquement des sons électro-acoustiques (aujourd’hui, on, parlerait de « samples », d’échantillons).

c’était aussi une préoccupation de l’époque : comment utiliser des voix dans un tel système électronique…

chez Stockhausen, dans Gesang, qui date de 54, il y avait des textes compréhensibles, mais par contre chez Berio dans Omaggio a Joyce (1958), il y avait tout un travail d’élaboration (par superposition de différentes lectures dans différentes langues, etc., auquel avait aussi participé Umberto Eco, co-initiateur du projet) avant d’arriver à la petite pièce de la fin qui s’appelle Thema, là, on entend bien la voix de Cathy Berberian de temps à autre mais on entend à peine le texte, juste quelques syllabes, c’est très beau d’ailleurs, j’aime beaucoup. Mais moi je voulais raconter l’histoire d’Electre – et aussi on me le demandait. J’ai gardé le dialogue mais autour du dialogue se développe des espèces de nuages sonores qui l’illustrent, qui l’accompagnent et qui sont faits à partir des voix. Il y a une très belle partition qui a été dessinée après coup, à l’écoute et d’après mes schémas de travail, par Sylvano Bussotti. C’était une première expérience de ce type-là où je me suis laissé aller sur le plan expressif mais c’était un réalisme enrichi par les expériences de l’abstraction. Au même moment, comme je voulais me resituer, il y avait eu un mouvement d’ouverture de plus en plus grand, sur le plan de la grammaire instrumentale, si je peux dire, où, déjà les Rimes constituent une grande transformation par rapport aux Symphonies, par exemple, ou au Quintette, il y a déjà beaucoup plus de périodicités etc. Sur le plan rythmique, il y avait déjà tout un travail, sur le plan formel aussi qui est le rythme à grande échelle, les bonnes formes, les ondes… ce que j’ai appelé la périodicité généralisé.e Mais sur le plan harmonique, on avait surtout élargi vers le bruit grâce à l’électronique, et Webern était la limite. J’ai voulu alors aller de l’autre côté et réapproprier toute l’harmonie consonante, les citations historiques… et ça, c’est le travail de Votre Faust. A ce moment-là, tout le champ historique et géographique me devenait accessible et j’ai utilisé tout mon temps, depuis lors, à explorer tout cela. Et donc, Trois Visages de Liège, alors, c’est une commande qui m’est venue seulement au début de l’année 1960 pour 1961, l’inauguration du Palais des Congrès à Liège. Il y avait déjà des décisions qui avaient été prises sur le plan artistique,par. Nicolas Schöffer (3), le sculpteur parisien d’origine hongroise qui faisait des mobiles et aussi des espèces de boîtes dans lesquelles il y avait des éléments qui bougeaient avec un écran de verre dépoli sur lequel des projecteurs faisaient des images abstraites en mouvement. Il avait été chargé de faire, sur la grande baie du Palais du Congrès, des projections en mouvement du même type mais à très grande échelle. Donc, on a installé une cinquantaine de projecteurs derrière la baie et mis des écrans que l’on pouvait relever, écrans qui étaient donc derrière le verre et l’on projetait à l’aide de projecteur avec des caches qui tournent … c’était un grand tableau abstrait en mouvement. Je ne sais pas si c’était de Schöffer lui-même, ou plutôt du producteur-scénariste qui travaillait chez Philips – c’était, en effet, Philips qui produisait la chose mais qui avait chargé une sous-traitance de faire le spectacle, une petite firme parisienne qui s’occupait de spectacles de son et lumière. Ils avaient installé un orgue, comme on disait à l’époque, orgue de commandes et projecteurs avec des cartes à trous etc.

et c’était combiné avec la musique, je suppose…

c’était très prédéterminé : ils avaient composé un scénario en trois partie : 8 – 4 – 8 minutes, cela faisait 20 minutes exactement – c’était très précis au niveau couleur et surtout au niveau du temps – une seconde pour cela, puis cinq secondes, deux secondes, etc. C’était un programme très précis et on me demandait de le respecter.

à ce point !

… en le prenant comme base et en composant dessus. Pour le deuxième mouvement on me demandait d’utiliser des petits poèmes d’un poète liégeois, Jean Séaux, en fait Jean Koenig, le frère du claveciniste Charles Koenig, qui est mort aujourd’hui, et qui a été un des premier à faire de la musique baroque. Jean est mort encore plus tôt, peu de temps après cette opération. Il avait écrit des petits poèmes sur des noms de rues, des vieux noms de rue de Liège en les groupant soit par la sonorité, soit par le sens, avec des titres comme La Révolutionnaire, La Gracieuse, La Laborieuse, etc. C’était très joli. Cela me plaisait bien d’utiliser ces petits poèmes dans la partie centrale comme un petit scherzo. Pour le dernier mouvement, il n’y avait que les quatre premières minutes qui étaient programmées, les quatre dernières on les laissait à ma disposition et disant qu’on ferait les images d’après ma musique, qu’on structurerait le temps d’après ma musique. Bon – mais tout cela me paraissait un peu trop abstrait et inconsistant du point de vue du sens, surtout que je travaillais avec Michel Butor depuis un an sur Votre Faust. J’avais commencé, j’avais lu ses écrits et la question du réalisme me préoccupait beaucoup. J’étais, moi-même, persuadé depuis tout un temps, que non seulement la musique électronique, mais toute musique était chargée de sens et qu’il faut le développer, le faire le plus consciemment possible. J’ai voulu donner à ces trois mouvements, qui avaient déjà une certaine couleur dans le projet, puisque le premier devait être un prélude jouant sur des voiles colorées… et un final assez ample et large, me demandait-on.

presque un programme symphonique !

oui, exactement, c’est une petite symphonie. J’ai donc travaillé là-dessus, j’ai respecté le premier mouvement, j’ai fait cette espèce de prélude voilé mais avec une grande montée, des vagues, la mer qui arrive et d’autres choses, des instruments… Mais ce ne sont pas de vrais instruments. Le scherzo, je l’ai fait avec beaucoup de périodicités, tout un travail de poly-rythmie, et avec les voix. Puis alors, il devait y avoir, au début du troisième mouvement, une petite section très percussive faite de choses assez brèves… car à côté du Palais du Congrès, il y a cette tour que vous connaissez probablement, une sorte de grand Meccano qui était un mobile en fait, avec des petits moteurs…

qui ne fonctionnent plus depuis longtemps…

depuis très longtemps mais qui actionnaient des éléments qui tournent comme dans les sculptures de Schöffer, où il y avait également des éléments de perception, des microphones, des cellules photoélectriques, etc. qui d’après les informations venant de l’extérieur, déclenchaient des mouvements.

c’est une tour cybernétique en fait…

ça s’appelait d’ailleurs la Tour Cybernétique (4) et ça m’intéressait beaucoup en soi. Surtout la nuit, avec les projecteurs, ça lançait des rayons dans tous les sens, le jour, ça bougeait un petit peu mais ce n’était pas…

mais quel rapport direct avec ceci…

eh bien, au début du troisième mouvement, il devait y avait une cadence de la tour, c’est-à-dire que mes sons, par des haut-parleurs proches de la tour devaient la faire bouger spécialement bien.

devait, dites-vous,

oui

cela veut-il dire que cela n’a pas eu lieu ?

si, cela a eu lieu mais une seule fois ! (rires) J’avais imaginé ce troisième mouvement, fait surtout de sons industriels. Dans le premier mouvement, il y a un son qui vient de l’aigu et qui descend de plus en plus jusqu’à se décomposer en impulsions lorsqu’il passe en dessous de la limite d’audition, il y a un travail là-dessus, c’est un rappel de Kontakte. Il y a, au milieu de Kontakte, cette démonstration de la liaison entre le son et le rythme et toute la pièce en est déduite d’une certaine façon – au centre, il y a le principe. Je l’ai donc cité. Le troisième mouvement a été fait par des sons qui ont été faits pour beaucoup par micro-montage, pas au point que Stockhausen l’avait fait, non, ce sont des éléments sonores qui restent audibles comme sons mais très brefs et qui donnent alors des matières très riches, très grouillantes et qui reviennent continuellement sur elles-mêmes. J’ai donc travaillé comme cela avec des masses sonores à caractère assez industriel – de feu, de métal en fusion. Je pensais à la couronne industrielle de Liège

oui, bien sûr, c’est très clairement perçu…

je l’avais beaucoup regardé étant étudiant, au-dessus de la colline de Cointe où on allait regarder les industries avec les flammes sortant des cheminées… Pour la seconde moitié de la troisième partie, donc, j’ai continué cela et j’ai introduit de nouveau des comptines de Jean Céaux mais en prenant les plus dramatique, les plus liées au travail, à la révolte

il y a un aspect social de cette pièce…

tout à fait, d’autant plus qu’il y avait eu pendant les mois qui ont précédé, c’est-à-dire l’hiver 60-61, une grande grève générale avec des mouvements très violents, surtout à Liège – et même des morts, je crois. C’était donc une espèce d’hommage à ce mouvement. Et ça se termine par un véritable soulèvement où certaines des comptines conviennent très bien : Travail, enfer ou Amay, l’épée, par exemple… mon travail était monoral au studio de Bruxelles, mais au studio de Paris où j’avais fait le dernier mixage, j’avais pu faire une stéréophonie à trois canaux. c’était du bi-canal mais avec un canal central pour soutenir – ce qui est bien, parce que si on est à droite, par exemple, tout ne se déplace pas sur le haut-parleur de droite, on a quand même une surface. Donc, je me souviens, j’avais fait un grand son, comme un grand tam-tam, un grand gong. C’était avant que Stockhausen fasse Mikrophonie 2 (1965)… on était très intéressés par ce genre de son. Et avec un double filtre en tierce que j’avais mis en peigne complémentaire, avec des régions communes, bien entendu, j’avais pu disperser la composition de ce spectre sur toute la surface – rroowwaa… (rires) c’était tout à fait extraordinaire à l’époque de pouvoir produire cela. J’avais aussi utilisé, à un moment donné, une multiple octave, comme tout un orchestre qui joue la même note. Cela revient dans la fin – c’est l’orchestre des ouvriers (rires) – et ça se termine par une octave qui s’éteint comme ça dans le silence… voilà. mais j’étais le seul à être tout à fait près à la veille de la première, ma musique était prête.

pourtant cette précision dont vous parliez pour la projection…

et bien, eux, n’étaient pas tout à faire prêts. Je ne sais plus ce qui n’allait pas mais ce n’était pas tout à fait au point… Il y a eu, alors, l’avant-première avec la presse. Les gens regardaient le spectacle de l’autre côté du fleuve, de l’autre côte de la Meuse, à partir de l’héliport. C’est là que le public se tenait. Et on voyait les reflets du spectacle dans la Meuse… C’est alors que l’échevin des classes moyennes, qui était le commanditaire, un libéral, un certain monsieur Bomersomme, a été tellement effrayé par ma pièce, à la fois probablement par son langage, ses sonorités et peut être aussi par les côtés politiques de l’affaire, il ne devait pas être complètement sourd, qu’il l’a immédiatement fait retirer ! La première, le lendemain, a eu lieu avec une fugue de Bach orchestrée par Léopold Stokowski (5) etc.

quelle misère…

ils ont fait des trucs comme ça qui n’avaient rien a voir, qui n’avaient aucun rapport… Puis on a mis Rhapsody in Blue…

il pouvait avoir une telle décision ?

je ne me suis pas défendu, j’aurais pu sans doute… j’étais jeune, content d’avoir fait la musique. Je l’ai fait jouer en concert. on l’a gravé sur disque au Etats-Unis, le disque a été vendu pendant des lustres…

c’est vrai que c’est une pièce qui est devenue historique…

Stockhausen l’a tourné dans une exposition de musique électronique qu’ils avaient faite à Cologne et à laquelle il a assistée quotidiennement et il m’a dit : c’est une pièce que je peux écouter autant que je veux… Encore aujourd’hui, à côté des pièces numériques, techniquement, elle est toujours parfaitement audible, on n’a presque pas besoin de la nettoyer; elle est vraiment d’une qualité sonore extraordinaire. Elle a été gravée sur disque par CBS, parce que mon ami David Behrman travaillait pour eux à New York, il l’a fait mettre sur un disque avec une pièce de Babbitt et une pièce de Cage. Ce disque a été dans les Top-40 à New York pendant quelques semaines… peut-être qu’il servait à des étudiants qui fumaient de la marijuana, je ne sais pas… (rires)

j’étais très curieux d’en connaître l’histoire et ses rapports sociaux, finalement, il y a peu d’exemple où la musique est extrêmement dérangeante – car elle se combine dans un mouvement, presque révolutionnaire, esthétique et politique…

elle est nouvelle mais elle est quand même d’accès très direct.

vous la voyez comme assez spontanée…

oui, ce qui montre bien que la spontanéité d’un côté, et la précision et la rigueur de l’autre ne sont pas contradictoires, ne s’excluent pas mutuellement, au contraire : si on travaille sur une base rationnelle, mais en ayant naturellement une intention expressive et musicale très forte – c’est mieux. Cela donne une solidité beaucoup plus grande, il suffit de voir les œuvres des grands compositeurs, Bach…

la structure, oui, pour parler d’une chose qui n’est pas tout à fait différente – cette musique, la musique électronique, hautement technologique, dépendant très largement d’une technologie constamment en évolution, a fait perdre l’idée d’une structure écrite – de toute partition…

pas complètement…

il y a énormément de gens qui composent de la musique mais qui la composent sur les sons mêmes – sur la sonorité – et qui donc pourraient manquer d’une pensée structurelle…

pas nécessairement d’une pensée structurelle parce qu’ils peuvent trouver des références ou des critères structurels, à la fois pour le son lui-même et pour les formes, ailleurs. Il y a sûrement de beaux exemples. Mais malgré tout, c’est un appauvrissement, parce que comme ça se passe dans la dimension de la musique précédente et simultanée, il me semble que si on a une culture de toutes les autres musiques, y compris de l’écriture de la musique occidentale – une culture ouverte, bien entendu, pas une culture à œillère, ça donne une assise, ça donne des moyens qui aident.

d’un autre côté, je suis frappé par l’adaptabilité d’une œuvre écrite. La tétralogie, il y a un siècle et aujourd’hui, c’est très différent et il y a quelque chose de très beau dans cette créativité continuelle…

c’est un texte, c’est un texte…

tandis qu’une chose figée, dans un temps bien précis, n’est qu’elle-même.

c’est pourquoi, dès Scambi et puis avec les Paraboles (8 études paraboliques, 1972), j’ai tenté de créer des média ouverts et qu’on puisse continuer à changer… et c’est pourquoi le travail de remix m’intéresse. Ce ne sont plus des textes au sens écrit mais ce sont quand même des engrammes. Comme disait…

hum..

… Morin, Edgar Morin – à qui pensiez-vous ?

… au fondateur de la Scientologie… (rires)

ha, oui ? Non, je pense à la biologie par exemple, l’ADN…

oui, bien sûr

ce sont donc des engrammes qui permettent des projections. Voyez par exemple, les images que je viens de vous montrer tout à l’heure, au départ, ce sont des combinaisons de pixels et puis en travaillant dessus, avec des critères qui sont qualitatifs, avec une connaissance de l’objet plus ou moins approfondie, mais avec surtout une faculté de décision et de choix qui est essentiellement qualitative, on obtient un résultat…

mais est-ce une œuvre d’art ou non ? Quand j’écoute de la musique récente, parfois, j’ai le sentiment que ces gens travaillent sur la même machine, que la machine n’est pas suffisamment touchée par l’être humain, car la machine peut, elle-même, combiner beaucoup de choses, peut créer beaucoup de choses avec un minimum d’intervention humaine…

les Paraboles sont un exemple, je crois, des plus frappants. C’est pourquoi, je suis content qu’on ait publié ce livre (c’est dommage qu’il ne soit publié qu’en allemand, mais il le sera peut-être dans une autre langue, plus tard), parce que ça démontre à quel point la machine peut être utilisée comme un être vivant ou presque. Par de petites interventions, on l’obtient, à condition qu’on ait un réseau de machines suffisamment complexe et interférent. Les Paraboles restent pour moi une découverte exceptionnelle. On n’a pas retrouvé, à ma connaissance dans le numérique une chose aussi…

fluide ?

fluide et capable de réagir à peu de décisions. J’ai dit cela, il y a peut-être un an, dans une rencontre à Vérone sur la musique électronique et il y avait là des américains qui m’ont contredit, qui m’ont dit : ah vous ne savez pas ce qu’il y a aux Etats-Unis… Peut-être bien mais je ne demande qu’à entendre. (rires)

ce qui est frappant c’est que là, vous me parlez d’une époque – fin des années cinquante, début des années soixante – où il y a peu de gens qui s’intéressaient à ce genre de découverte, il faut bien le dire…

oui mais les Paraboles, c’est le début des années soixante-dix

oui, je sais, mais à cette époque même, dans les années soixante-dix, il y en avait peut-être un peu plus, mais au départ il n’y avait que quelques dizaines de personnes qui étaient intéressés par le problème, puis quelques centaines, mais là, aujourd’hui, nous en sommes à plusieurs centaines de milliers de personnes…

oui, parce que ça s’est introduit dans le milieu des musiques populaires !

deuxième dialogue : Waterloo, le 22 4 août 2003

à l’ombre d’un noyer, dans le jardin, un jour de canicule.

… dans son livre Cinquante ans de modernité musicale, Célestin Deliège ne parle que de mes œuvres première manière, ainsi que de mes premières œuvres qui quittent l’orthodoxie sérielle, rigoureuse et étroite. Et puis, c’est fini, il ne parle plus de ma musique; je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : ça ne rentre plus dans mon sujet qui est la musique moderne… Quels sont les critères de la modernité ? où s’arrête la modernité? Comme je lui posais la question après la conférence de presse de présentation de l’ouvrage, il m’a aussi dit : tu ne te considères plus toi-même comme moderne, ni comme post-moderne… j’ai lu quelque part que tu te considérais comme trans-moderne. Je lui ai répondu : tout ça c’est du vocabulaire tout à fait subjectif, voire conventionnel, il y a dans les mots ce qu’on y met. La recherche que je fais est toujours une recherche de pointe bien qu’elle n’aille pas dans le même sens que Boulez et je considère que c’est la suite de ce que j’ai fait dans mes premières années – j’ai élargi, mais l’esprit reste toujours le même, c’est toujours à partir de l’exemple de Webern. Dans ce sens-là je pense que c’est plus moderne que de faire ce qu’on faisait dans les années cinquante…

il est difficile aujourd’hui de s’y retrouver, il s’agit de chapelles…

moi, je ne rêve pas du tout d’une chapelle, je ne rêve pas non plus d’un grand melting pot, mais je crois qu’il faut travailler à établir des échanges, des circulations – la globalisation bien pensée, c’est-à-dire qui respecte les spécificités. C’est werbernien, ça, l’idée que chaque note a la même importance, elles sont très différentes les unes les autres, mais elles s’équilibrent mutuellement. Il n’y en a jamais une qui domine les autres. C’est justement cela la nouveauté de Webern – par rapport à tout. Il y a d’autres exemples. Il y a Schönberg qui reste très nostalgique de la musique romantique, il y a Stravinsky qui travaille par blocs plutôt que par notes. Et finalement, il a très bien compris Webern à la fin de sa vie. Non seulement, il lui a rendu hommage mais il a montré qu’il y avait une espèce de fraternité entre eux. Une œuvre comme Agon, le ballet Agon. Vous le connaissez ?

non, je ne le connais pas trop…

aaahh il faut absolument ! C’était un ballet écrit pour Balanchine. Abstrait, soi- disant, mais comme je vous disais, l’abstrait est toujours réaliste. Ce n’est pas moi qui ai inventé cela, c’est Michel Butor. Il l’a défendu fortement au début où nous nous connaissions, dans les années soixante. Il avait écrit un texte sur Mondrian, en parlant en particulier des toiles les plus épurées, l’intitulant Le carré et son habitant. Il montre, par exemple, que les carrés sur pointe avec deux lignes qui se croisent, ce sont des couchers de soleil mais réduits à leur plus simple expression. C’était une parenthèse. De quoi parlait-on ?

vous parliez d’Agon…

oui, dans Agon, il y a douze danseurs, c’est un chiffre significatif, ces douze danseurs. Il y a huit femmes et quatre hommes, ça commence avec l’ensemble groupé, je ne sais plus si c’est quatre trios ou trois quatuors, petit à petit ça se reduit, il y a des pas de trois, jusqu’à arriver à un pas de deux – qui est naturellement le duo d’amour. Puis on retourne, on a une autre formule chorégraphique finale mais avec la même musique. Cette musique du début et de la fin, c’est une petite fanfare médiévalisante à la Stravinsky, qui l’avait écrite je ne sais dans quelle circonstance, etqu’il a un peu transformée. De là se développe, je ne dirais pas une histoire de la musique – ce n’est pas un projet aussi citationnel mais quand même, le chromatisme intervient, il y a des rappels de la Renaissance, il utilise d’ailleurs des danses de la Renaissance, Branle gaie, Branle double… Petit à petit, si on analyse la pièce, on voit qu’il y a des éléments progressifs… Un éléments de départ est une petite formule mélodique dont il paraît que c’était la berceuse que sa nourrice lui chantait quand il était petit que l’on retrouve déjà dans Le Rossignol – ta li la la – un tétracorde organisé d’une certaine façon (3-4-2-1) , puis il fait un travail là-dessus, ça devient 6 notes, puis 9 et finalement 12, il y a une série de douze sons, qui comme par hasard est celle des Variations Opus 30 de Webern , l’avant-dernière œuvre de Webern – avec une inversion de deux notes, ce qui lui donne, à cet endroit-là, le fameux tétracorde modal – ce qu’il n’y a pas évidemment chez Webern, parce que chez Webern, c’est toujours purement chromatique  – mais tout le reste est conforme. La partie dans laquelle il développe cette série, est la partie webernienne, justement, même au point de vue du style, c’est donc le duo d’amour entre Stravinsky et Webern (ou de S pour W, si vous préférez). Il y a des imitations, qui au début m’ont parues naïves mais qui, finalement, sont très raffinées.

de quand date cette pièce ?

Il a commencée au début des années cinquante par cette petite fanfare, en 53 si je me trompes, puis après avoir développé la première partie, en a interrompu quelques temps la composition pour exécuter d’autre tâches, et il l’a terminée en 57, année où le ballet a été créé à New-York. Cela a été la charnière vers cette période de sa production qu’on appelle sérielle. Il avait déjà fait avant cela des choses qui avaient un caractère sériel mais pas chromatique : des canons avec des renversements etc. mais cela les musiciens du 15ème siècle le faisaient aussi. A partir de là, il n’a plus écrit que de la musique avec des séries – mais à sa façon, c’est toujours resté du Stravinsky.

ce que vous dites là est très différent de ce que l’on dit généralement de Stravinsky

C’est Robert Craft, son assistant qui était chef d’orchestre et a réalisé les célèbres entretiens, qui au début des années 50 avait réalisé le premier enregistrement à peu près intégral des (d’ailleurs peu nombreuses) œuvres de Webern et a donc révéla cela à son maître. En 71, quand Stravinsky est mort, j’ai écrit un grand texte où je développe ce que je viens de vous dire, en l’analysant d’assez près. Cela a été publié en français et en anglais – dans Musique en Jeu n°4/5 et dans Perspectives of New Music, à New York. Cela se termine d’ailleurs par un poème que j’avais écrit pour Stravinsky pour ses quatre-vingts ans et qui s’intitulait AVOEU.

l’avez-vous rencontré ?

On a eu des contacts mais on ne s’est jamais rencontré. Nous nous étions écrit plusieurs fois et on voulait se voir aux Etats-Unis mais il était déjà très malade et le rendez-vous a dû être supprimé. Je lui avais envoyé un jour une œuvre pour piano de 64-66 qui s’appelle Apostrophe et six Réflexions, dès qu’elle a été imprimée chez Universal (à Vienne). Il m’a répondu : vous êtes tombé juste le jour de mon anniversaire et comme ce n’est pas un chiffre rond, il n’y a pas beaucoup de manifestations, j’ai été très content que vous m’envoyez cela, j’aime beaucoup cette musique… ça m’a fait plaisir, oh la la …et la petite carte de réponse à mon poème, je l’ai gardée encadrée pendant longtemps…(rires) Mais c’était Boulez qui lui avait remis mon texte et donc j’ai mis ce poème à la fin de l’article. Celui-ci commence par une critique des conceptions qu’on a eues jusqu’alors de l’harmonie de Stravinsky, et qui consistent à dire : c’est une harmonie traditionnelle avec des fausses notes… (rires). Même Paul Collard et même Boulez dans ses écrits de jeunesse, en tout cas. Il a écrit un très bel article sur le Sacre mais qui étudie surtout le rythme. Au niveau harmonique, il ne va pas loin…

je ne savais pas que vous aviez une telle passion pour Stravinsky…

si, si… depuis longtemps, parce qu’il m’a beaucoup aidé à sortir de mon orthodoxie. Je commençais mon poème en disant : Igor Stravinsky, vous êtes pierre… et puis ça se terminait par… restez pierre et sur cette pierre nous briserons notre église… (rires)

c’est très significatif et très clair…

Mais après cela, avec Boulez, ça a été le froid complet… parce que j’avais un peu ironisé, gentiment, amicalement… mais non. On était déjà en froid au moment où j’écrivais Votre Faust… de plus en plus ; mais alors là, il n’a pas supporté… Et pourtant, bien plus tard, il a tout de même dirigé Agon !

il vous donne peut-être raison…

il y a deux ans, il m’a écrit. Je lui avais envoyé un cd, je crois que c’est Dichterliebesreigentraum, et il m’a dit qu’il admirait la façon que j’avais de travailler avec l’Histoire, mais que lui, sa façon de liquider l’Histoire, c’était de la diriger. Je lui ai répondu : moi, je ne tiens pas du tout à la liquider, je l’aime beaucoup trop, du moins les produits musicaux de l’Histoire… (rires). On est sorti du froid, quand même… mais il a fallu attendre très longtemps. Cela a été douloureux aussi, des gens avec qui on a été lié fraternellement et avec qui on a une rupture…Avec Stockhausen aussi… Mais pourquoi ai-je parlé de tout cela, vous m’avez posé une question ?

pas encore, non
(rires)
pour moi, c’est toujours une énigme – comment des gens, à un moment donné, peuvent-ils se dire : il faut aller vers une nouvelle forme de musique… pourquoi ? Je me demandais aussi dans quel climat musical vous aviez grandi et quels ont été les déclencheurs…

j’ai une origine campagnarde catholique, mais j’ai quitté tout cela… pas tout cela, pas la campagne (rires), mais le catholicisme en tout cas. c’était Malmédy, ma petite ville, ma femme aussi d’ailleurs, elle est en partie d’origine allemande et hollandaise, elle parlait l’allemand chez elle, son père est mort lorsqu’elle était très jeune, au début de la guerre. nous avons été annexé par l’Allemagne. A l’offensive des Ardennes, nous avons fuit mais elle est restée, elle a dû enjamber des cadavres et vu d’autres horreurs. Il n’y avait pas d’Allemands à l’intérieur du patelin, il y avait encore des Américains, et pourtant les Américains ont bombardé pendant trois jours. Nous nous connaissions déjà, son frère était mon ami d’enfance (ou de prime adolescence, disons), on s’est connu alors qu’il avait onze ans et moi neuf, et il y avait sa petite sœur… voilà plus de soixante ans que je connais mon épouse. Mes parents étaient amateurs de musique, mon père chantait dans une chorale d’hommes, des orphéons… Ils chantaient le chœur des pèlerins de Tannhäuser mais aussi des pièces écrites spécialement pour des chœurs d’hommes par Théodore Radoux, deuxième directeur du conservatoire de Liège… (rires). Des choses assez pompier, quoi. Ma mère avait une jolie voix de soprano, elle était orpheline depuis sa plus tendre enfance, de père et de mère, elle avait été élevée en orphelinat et c’était une petite femme énergique qui s’était battue pour en sortir. Elle avait toutes sortes de dons, de mains, de doigts, mais aussi de voix et de planches. Elle aimait beaucoup chanter, tout comme dessiner et coudre. Une fois mariée, elle a été aux manifestations publiques de cette société chorale, qui donnait deux concerts par an, un aux environs de Noël ou du Nouvel An et un autre en été. Comme il n’avait pas assez de répertoire pour pour toute une soirée, il y avait des intermèdes par des solistes amateurs, et le directeur de la chorale, qui était verviétois et avait une assez bonne formation, a entendu la voix de ma mère et lui a proposé de chanter. Alors elle a chanté des lieder, des petits airs, accompagnée au piano par le directeur, des lieder de Schubert, La Truite, Le Vieux Tilleul…(il chante). Il y a un atavisme de musique romantique, quand même… (rires). Parfois aussi, ils montaient des opérettes, et elle jouait sur les planches, Miss Héliette et d’autres rôle, elle avait même une rivale, vous voyez : des petites prima donna de province… (rires). J’ai entendu tout cela durant mon enfance. Aussi Malmédy est une ville, qui ayant été pendant tout le 19ème siècle annexée à la Prusse, alors que c’est une ville wallonne, a préservé, non seulement son dialecte wallon – maintenant plus, je crois que les jeunes ne le parlent plus, mais les gens de mon âge, oui, moi, je pense encore parfois en wallon (le Wallon de Malmédy qui est proche du Wallon liégeois mais avec des germanismes à l’intérieur). Il y avait aussi tous les rituels folkloriques – je dis folklorique parce que c’est devenu du folklore touristique, commercial mais ce ne l’était pas encore à mon époque. Le Carnaval en particulier, ou les grands feux de la Saint-Martin avec des lampions, des torches et des mini-fanfares. Tout cela, j’aimais aussi beaucoup. A quatre ans, lors du Carnaval, j’étais habillé en petit clown, avec un balais, je passais derrière les gens et je renversais les chapeaux, etc. (rires) J’ai aussi chanté, comme petit chanteur, à l’église, du chant grégorien. De sorte que j’avais une culture assez ouverte. Puis on m’a fait faire du piano, il y avait un piano chez ma grand-mère, mes parents n’en avaient pas, on n’était pas riche du tout, ma grand-mère était seule et très malade, neurasthénique, enfin, c’était terrible et le professeur était très mauvais, je n’ai pas continué mais je rêvais de devenir artiste, peintre ou sculpteur ou architecte ou musicien… La guerre, l’annexion, a eu – les bonnes médailles ont de mauvais revers mais les mauvaises médailles peuvent avoir de bons revers – cette annexion a eu pour moi une conséquence tout à fait favorable, c’est que j’ai eu un excellent professeur de musique à l’école, à la Oberschule, qui avait été l’Athénée et qui est redevenue l’Athénée quatre ans plus tard. J’étais très indiscipliné, j’ai profité de cette situation pour être particulièrement indiscipliné, je faisais ma petite résistance (rires). Mais le prof de musique, ça… il nous faisait chanter en chœur, des musiques de très bonne qualité. Ma mère lui a demandé de me donner des leçons de piano, il me jouait des rapsodies de Liszt, des sonates de Beethoven… Il me faisait jouer Schumann…

était-il allemand ?

c’était un Allemand de Krefeld, un rhénan. Avant la guerre de 14, c’était la Prusse rhénane, Malmédy. Nous avions de la famille, ma femme en particulier, en Allemagne, dans la région d’Aix, de Cologne et de Bonn, aussi bien qu’à Liège. Donc, je suis dès le départ un Européen cosmopolite.

à la limite de plusieurs mondes…

voilà, un briseur de frontières, c’est ce que Butor a écrit quelque part. Lui aussi est un briseur de frontières. J’ai beaucoup écouté la radio allemande ; le dimanche après-midi, on entendait Bruckner, Wagner… et j’avais des disques 78 tours, beaucoup de musiques romantiques et classiques. J’ai découvert Bach. Pendant longtemps, Mozart a été mon dieu. J’ai vu un film allemand quand j’avais treize ans, qui retraçait la vie de Mozart, le titre était un fragment de vers de Hölderlin, je crois: Wen die Götter lieben… Ceux que les Dieux aiment… ils les reprennent à eux prématurément. C’était un en film noir et blanc, où il y avait toute ( ?) la scène du Commandeur et ça m’a soulevé, transporté, décidé. J’ai rêvé de devenir musicien. A la libération, mes parents ne voulaient pas, ils disaient : tu dois gagner ta vie…

que faisaient vos parents ?

mon père était employé d’usine à la papeterie Steinbach, mais à la fin de la guerre, il avait été envoyé comme ouvrier dans une raffinerie en Allemagne. Heureusement, il est revenu juste avant la libération et on est allé se cacher dans une ferme : on couchait dans le foin et voyait se lever la première aube : poésie fondamentale – et durable ! Pendant l’offensive Von Rundstedt, on a dû fuir pour qu’il ne soit pas arrêté si jamais les Allemands arrivaient. Mais ils ne sont pas venus, ils ne sont pas entrés à Malmédy. Et Malmédy a été détruite. Quand nous sommes revenus, après deux mois, nous avons trouvé cette ville à 2/3 détruite. Et Saint Vith au sud était complètement rasée. Là, il y avait vraiment eu des batailles. Finalement, le préfet de l’Athénée a été compréhensif, il a dit à mes parents : nous allons lui faire un programme de cours libre et il pourra travailler la musique tant qu’il voudra. J’ai été dans une école de musique à Stavelot, je m’y suis préparé pendant trois ans pour entrer au conservatoire de Liège. J’y suis entré en septembre 47, je venais d’avoir 18 ans. Et par hasard, parce que je voulais étudier l’orgue et que les étudiants dans mon cas devaient suivre des cours d’harmonie pratique, cours d’harmonisation au clavier, chant grégorien, réduction de partition…, je suis tombé sur Pierre Froidebise (3) , qui était un homme à la culture très vaste et très ouverte sur la modernité et qui était en train de découvrir la musique dodécaphonique, comme André Souris à Bruxelles… Leibowitz (4) avait écrit son premier livre sur Schönberg et son école. Quelques semaines après mon arrivée à Liège, j’ai entendu une conférence de Froidebise. Mes dernières années à Malmédy, ces trois années entre la libération et le conservatoire, j’avais eu un professeur de français qui était très ouvert aussi, à la poésie, bien entendu, mais aussi à la musique ; Debussy, Ravel, il m’avait fait découvrir cela. Mais je n’allais pas beaucoup plus loin. J’avais un livre de piano dans lequel il y avait des pièces de Honegger, je les jouais mais je ne comprenais pas très bien. Puis, un autre professeur de piano allemand, juste avant la fin de la guerre, que j’avais eu quand l’autre, celui que j’avais beaucoup aimé, était parti au front, m’avait une fois joué du Schönberg. Mais c’était resté comme du vinaigre dans mes oreilles. J’ai donc entendu cette conférence de Froidebise sur le dodécaphonisme…

ce n’était donc pas très exceptionnel que les gens s’intéressent au dodécaphonisme à ce moment-là ?

En 47, ça commençait. Mais Froidebise était , avec ses grands élèves, dont Célestin Deliège, Edouard Senny, Marthe Pendville, a la pointe de la découverte ; certains ont joué des pièces pendant sa conférence, pour l’illustrer. Edouard Senny a fait à ce moment la création en Belgique des Variations Opus 27 de Webern. J’ai tout de suite été pris par le mouvement. Mes oreilles ne comprenaient pas encore très bien, mais mon esprit avait tout à fait saisi. Je me suis donc mis à faire des petits travaux et deux ans plus tard, j’écrivais une première sonatine, qui a été jouée en public mais que j’ai mis dans mes tiroirs une fois que j’ai fait des choses plus sérieuses. Je l’en ai ressortie il n’y a pas si longtemps, pour mettre dans Méthodicare, un vaste ouvrage à caractère pédagogique. Froidebise m’a mis en contact avec Souris. On avait une activité très débordante. Leibowitz venait à Liège. L’APIAW, Association pour le Progrès Intellectuel et Artistique de Wallonie, avait une très grand activité à Liège. J’y ai vu des expositions magnifiques, toute la peinture moderne de l’époque, cela m’a beaucoup marqué. On recevait des littérateurs, des philosophes. Il y avait un jeune professeur d’Université, un ami de Froidebise, Etienne Evrard, qui nous a donné des leçons amicales et spontanées, dans le studio de Froidebise, sur la phénoménologie. Je lisais Sartre aussi bien que Heidegger dans le texte. En 51, Froidebise m’a amené à Royaumont où j’ai rencontré Boulez, et on a vécu 15 jours ensemble…

toujours est-il qu’au début des années cinquante, vous êtes associé à la fois à Boulez à Stockhausen et à Berio…

Boulez m’a parlé de Stockhausen, je me suis mis en contact avec lui par lettre. Je suis rentré à l’armée en 52, lorsque Stockhausen revenait de Paris vers Cologne. On s’est écrit. J’ai traduit un article de Stockhausen en français pour une revue qu’on voulait faire mais qui n’a jamais paru. Nous formions vraiment une espèce d’internationale – une petite maffia ou une franc-maçonnerie, si vous voulez, de la musique avant-gardiste européenne. (rires) Boulez a créé les concerts du Domaine Musical en 54, Stockhausen organisait des concerts à Cologne et puis on allait à Darmstadt, j’y suis allé pour la première fois en 54,où Marcelle Mercenier, que j’avais recommandé à Stockhausen, a créé ses premières pièces pour piano. Je lui ai tourné les pages, c’est tout ce que je pouvais faire, je suis un très mauvais interprète. Elle a rejoué cela au Domaine Musical en 55, quand on y a aussi créé mes Symphonies. Après avoir rencontré Boulez, j’ai écrit Trois Chants Sacrés puis j’ai fait mon service militaire. J’ai fait une œuvre sérielle radicale pour trois pianos accordés en 6ème de ton, qui s’appelle Prospections. On l’a joué à Liège dans les années 80. J’ai un enregistrement, c’est une jolie pièce finalement. C’est-à-dire que j’en avais fait une version tout à fait rigoureuse qui était terrible, puis je l’ai retravaillée, resserrée. Comme cela, elle est bien, ces 36ème d’octave, c’est intéressant. Alors on s’est mis à faire de la musique électronique. Berio, c’est en 56 que je l’ai rencontré à Darmstadt avec Cathy Berberian, sa première épouse, qui était là avec lui. Il m’a invité à venir travailler au studio de Milan où j’ai fait Scambi au printemps 57.

mais avant cela vous aviez fait une petite pièce à Cologne…

oui, Séismogrammes. Et c’est en 58 que l’on a fondé un studio à Bruxelles, Apelac, pour l’Expo, avec Hervé Thys, en vue de faire des travaux pour l’exposition mais en espérant continuer et en espérant même en vivre. J’ai quitté Eupen pour venir m’installer à Bruxelles en 58 avec ma petite famille. Isabelle était née un an avant, Denis était toujours dans le ventre de sa mère et il est né pendant l’exposition. Après l’Expo, on n’a plus eu assez de travail, impossible. J’ai retrouvé heureusement un intérim à Bruxelles, à Forest, dans un athénée terriblement indiscipliné, c’était terrible les cours de musique… dans ce milieu…(rires)

quelles sont les œuvres que le studio a produites ?

J’ai fait tout d’abord la musique d’un film, d’un documentaire moyen-métrage:Liège, cité ardente d’Emile Degelin. Musique en partie électronique, en partie du clavecin joué par Marcelle Mercenier et retravaillé électroniquement, c’était un ensemble continu. Je ne possède pas la bande. J’ai ensuite fait Les Rimes. C’est au studio de Bruxelles que j’ai fait ça, avec un équipement très rudimentaire. Puis Electre en 60. L’essentiel du matériel étant essentiellement des acteurs et un groupe de musiciens. Vous avez entendu Electre ? Vous avez entendu comment les voix étaient travaillées ? C’est pas mal, il y a de l’expression…mais Trois Visages de Liège est plus réussi, je trouve. Vous voyez mon atavisme romantique venait de m’empêcher de rester prisonnier de cette orthodoxie pleine d’interdits qu’était celle de la musique sérielle.

le climat était-il lourd ?

lourd, non, parce qu’on était plein de vie, on s’amusait beaucoup. Mais il y avait une espèce de super-ego… et il y a des tas de choses qu’on ne pouvait pas écrire : les consonantes, les rythmes réguliers… Pendant toute la première partie des années cinquante, je me suis efforcé de faire les musiques les plus…asymétriques. Mais quand même, faire de la musique ! Il fallait donc quand même moduler tout cela, pour que ça vive, que ça touche les gens. Il y a eu un progrès dans cette dimension-là et la musique électronique y a contribué mais elle allait plutôt dans le sens du bruit ou de l’association du bruit et des sons organisés à partir de l’exemple de Webern. Avec Electre, on en sort déjà un peu et avec Trois Visages de Liège, beaucoup. Et puis, je commençais à travailler à Votre Faust, à ce moment-là, je travaillais avec Butor et je savais déjà que je ferais plein de citations. C’était fini. Le carcan, je l’avais brisé. Mais je ne voulais pas du tout retourner en arrière, je voulais me mettre à l’école de l’Histoire pour mieux prospecter le présent et l’avenir immédiat.

à cette époque avez-vous connu Karel Goeyvaerts ?

Oui, en 50, nous avons assisté ensemble à un concert du festival de la SIMC, Société Internationale de Musique Contemporaine, qui faisait un festival chaque année dans une ville différente et là c’était à Bruxelles. Il y a eu la création de la Deuxième Cantate de Webern, sa dernière œuvre, avec la chanteuse Ilona Steingruber, une soprano qui faisait ces grands sauts jusqu’au do aigu… J’ai écouté cela à côté de Goeyvaerts, tous deux en extase. C’est la première fois que je le rencontrais, il rentrait de Paris où il avait travaillé au conservatoire, avec Milhaud d’abord, puis avec Messiaen. Il avait connu Boulez. C’était le début de toute cette musique sérielle et lui a été beaucoup plus rigoureux, jusqu’à l’étranglement finalement. Il a fait quelques pièces de musique électronique à Cologne, il y avait des silences plus longs que 7 secondes, or la radio, quand il y avait plus de 5 secondes de silences devait intercaler une pièce de musique légère. (rires) Comme il habitait Anvers et que j’étais en garnison à Malines pendant 21 mois, de début 52 à fin 53, il est venu me voir en moto avec son blouson en cuir. On a correspondu quelque temps puis on a perdu le contact et on ne l’a retrouvé que bien plus tard. Je le rencontrais de temps en temps mais il avait abandonné la composition musicale Après une période de difficultés psychiques, il a été alors steward à la Sabena, et n’a repris que peu à peu son travail de recherche compositionnelle, qui a abouti à un véritable sommet fin 80, début 90, jusqu’à son décès. Il avait finalement trouvé une « ligne », sa ligne, en combinant son expérience du passé et ce qu’il voulait faire depuis toujours (une musique assez mystique, si l’on veut, mais très rigoureuse), avec l’idée du répétitivisme américain, mais adapté d’une manière très personnelle. Il avait tout une série de pièces, des Litanies, dans lesquelles la répétition plus ou ;moins obstinée joue un rôle très important, la Litanie pour piano, par exemple. Puis, il a fini par écrire son Grand Œuvre final, où il a donné le meilleur de lui-même, l’opéra-oratorio abstrait Aquarius, pour 16 chanteurs (8 sopranos et 8 barytons) et grand orchestre, qui a et créé à Liège par Bartholomée, mais ensuite joué par l’orchestre de Flandre et enregistré par l’orchestre de Flandre, naturellement… (sourire). Il a fait quelques travaux instrumentaux ou vocaux à l’IPEM de Gand. Et en 91-92, la KUL a créé une chaire, ou plutôt une « résidence », de musique contemporaine (car il s’agissait autant de composer que d’enseigner) qui lui a été offerte. Hélas, après six mois de fonction, il a eu une nouvelle crise cardiaque et ne s’en est pas sorti. Je lui ai succédé. Je devais écrire une pièce par an. J’ai commencé à écrire Aquarius Memorial, j’ai d’abord composé Les Litanies d’Icare pour piano solo, puis Les Fouilles de Jeruzona pour Orchestre. En troisième partie, je voulais faire une synthèse du tout. Mais le chef d’orchestre n’avait pas les moyens, cette année-là, de faire ce que j’aurais voulu, une pièce pour piano et orchestre, assez difficile et longue. Il m’a donc demandé de faire une pièce plus légère, et de pratique traditionnelle, parce la première était une œuvre en partie ouverte, où les musiciens avaient des initiatives à prendre tout en restant à l’intérieur du répétitivisme goeyvaertsien. J’ai fait alors Danseurs gnidiens cherchant la Perle clémentine, qui est maintenant devenu le deuxième mouvement. J’avais fait entretemps, pour Louvain, parce que j’ai fait les quatre mouvements d’Aquarius Memoriam, mais comme je suis resté 6 ans, j’ai fait, au milieu, entre les deux premiers et les deux suivants, une brève pièce de théâtre musical qui s’appelle Don Juan à Gnide, pour les 70 ans de Michel Butor en 96. C’est en souvenir de cela que ça s’appelle Danseurs Gnidiens. Je ne sais pas si vous voyez ce qu’est Gnide ?

non, a priori, je ne vois pas

c’est une ville grecque d’Asie mineure dont il ne reste que quelques ruines, qui était dédié à Vénus, comme Cythère. Il y a un très beau conte d’un grand écrivain français du début du 18ème siècle, Montesquieu, qui s’appelle Le Temple de Vénus. Et puis Charles Fourier, dans Le nouveau Monde amoureux, ce gros ouvrage inachevé que l’on n’a publié que dans les années 60, a introduit, au centre, une grande scène extraordinaire, avec beaucoup de monde, Fakma et tous ses prétendants, etc… Je vous le recommande, tout le livre est extraordinaire. Fourier est un personnage vraiment étonnant. J’en ai extrait un petit scénario pour deux chanteurs, un acteur et quelques musiciens. Cela se base sur mon Répons que j’avais écrit en 60 et qui était une pièce mobile, pour laquelle Michel Butor a écrit un texte, cinq ans plus tard. C’est un mobile pour 7 musiciens qui se groupent tout le temps de diverses manières, c’est un jeu. Butor en a tiré une sorte de fête galante à la Watteau, avec les gens qui s’échangent, les couples, les trios… Pour Don Juan à Gnide, j’ai remplacé la musique originale encore assez post-wébernienne et me suis basé sur un modèle de Couperin, mais que j’ai développé à ma manière…Et bien entendu, j’ai introduite dans cette fête galante une action dramatique, quelque peu libertine. Ce fut quand même créé dans l’abbatiale Ste Gertrude de Louvain (Leuven), ce qui témoigne de la tolérance que j’ai rencontrée en permanence à la KUL (j’enseignais en français).

bien avant cela, vous avez connu Léo Kupper…

Léo Kupper est venu me trouver au studio de Bruxelles quand il avait fini ses études de musicologie à Liège et que j’étais en train de faire les bandes de Votre Faust, des bandes magnétiques qui interviennent de plus en plus vers la fin. Il m’a aidé à faire ces bandes-là. Il était de la région germanophone, près d’Elsenborn. C’était un très curieux garçon. Après cela, moi, je suis parti aux Etats-Unis….

vous n’aviez pas d’affinités particulières avec lui ?

je ne pouvais pas vraiment le suivre, il avait des idées que je trouvais très originales mais un peu simplistes pour moi. Il est vrai qu’il y a très longtemps que je n’ai plus rien entendu de lui.

les quelques années qui vous séparent, ces 5 ou 6 ans, ont peut être pu suffire pour vouloir créer de la musique, sans formation musicale comme vous avez eue, n’y a-t-il pas de cela aussi ?

comme musicologue, il avait une formation musicale mais il appartient, jusqu’à un certain point, à la famille acousmatique – ça résume la situation. Nous avons eu quelques difficultés avec l’acousmatique ces derniers temps, parce qu’on a essayé de régenter…

le nombre de haut-parleurs?

non, le programme d’étude de la musique électronique dans les conservatoires d’une façon exclusivement favorable à cette tendance,cet qui écrase d’autres possibilités. Il y a eu une réaction assez vive, suite à laquelle il a été demandé à la Ministre de revoir cela. Certains acousmaticiens purs et dures sont bien moins intéressants que Léo Kupper… ! Par contre, j’aime beaucoup ce que fait François Bayle, par exemple, c’est de la très bonne musique.

Luc Ferrari ?

oui, je l’aime bien mais ce n’est pas du tout un acousmaticien au sens dogmatique, loin de là. Je le connais depuis très longtemps, Luc, et même si, on ne se voit pas très souvent,on s’entend bien. Toutes ses pièces, comme les Presque Rien, où l’on entend de loin les bruits de la plage, j’aime beaucoup ça, c’est plein de poésie…

que vous inspire Adorno lorsqu’il constate « le caractère fétichiste de la musique liée au commerce, à la production de masse » je cite de mémoire…

Adorno est un penseur que je ne supporte pas facilement. Je préfère de loin un autre grand penseur de l’école de Francfort, Ernst Bloch qui a une conception baucoup plus positive, constructive, alors qu’Adorno… N’oublions pas qu’au début, il était contre la musique de la jeune génération ; puis, quand il a senti comme le vent tournait, il s’est converti et il a fait des déclarations orthodoxes : la musique informelle…

il faut donc lire ou relire Bloch

Bloch est pour moi capital, Das Prinzip Hoffnung, le Principe Espérance ! Bien sûr, il y a la partie marxiste qui est évidemment mise en question par le marxisme pratique, mais pour le reste… C’est quelqu’un qui reprend toute la culture occidentale et qui la voit, comme inachevée, pleine d’ouvertures sur un futur toujours à construire, toujours à améliorer, à chercher. Il y a eu des tas d’échecs, mais il faut tout le temps reprendre la route, c’est ça la leçon de Bloch. Il y a ce petit texte extrait de son livre sur la philosophie écrit à Tübingen quand il est passé en Allemagne occidentale après avoir été pratiquement chassé par les marxistes d’Allemagne orientale. C’était un ami de Brecht, comme Brecht, il est revenu des Etats-Unis en Allemagne de l’Est, puis il en a été chassé pour sa non-orthodoxie. Il a enseigné longtemps à Tübingen, où il est mort à plus de 90 ans. Je me souviens d’une séance sur lui, ici, à la Deutsche Bibliothek, à laquelle j’ai participé, fin des années 70. Son oeuvre reste pour moi une lecture capitale. Le petit texte dont je vous parlais s’appelle Différenciation dans la notion de Progrès. Si un jour j’ai le temps, je le traduirai en français. C’est extrait de la Tübinger Philosophie. L’Athéisme dans le Christianisme est aussi un livre très intéressant. Bloch est un grand penseur, vraiment, à côté de cela, Adorno, à mon avis… (rires). Il a été et est toujours à la mode dans la pensée française et même allemande mais…Il y a un autre et plus jeune penseur allemand que j’aime beaucoup, c’est Peter Sloterdijk.Je dois de le connaître à Herman Sabbe, professeur de musicologie à Gand, un grand ami de Goeyvaerts. Il sont venus ensemble à l’exécution, à Anvers, au Singel, de Leçons d’Enfer, mon œuvre sur Rimbaud. Ils sont venus à deux, avec leurs épouses, c’est la dernière fois que j’ai vu Goeyvaerts, fin 91. Sloterdijk, plus jeune que moi, est professeur de philosophie de d’esthétique à l’Ecole supérieure des Beaux Arts de Karlsruhe. Le premier livre de lui que Hermann Sabbe m’a recommandé, dans les années 80, c’est La Critique de la Raison Cynique…

non pas Pure mais Cynique…

il est traduit en français, mais il y doit y avoir un problème de traduction très important (je n’ai pas contrôlé, puisque je lis dans le texte original). Il distingue, en Allemand, kynisch et zynisch – en Français, pour cynique, il n’y a pas deux mots. Or, il y a une nuance capitale, c’est même l’inverse, « kynisch », c’est Diogène et ceux qui mettaient en cause la tradition officielle, le platonisme, qui déféquaient sur les places publiques pour dénoncer, etc. Tandis que « zynisch », ce sont ceux qui manipulent le monde, la malveillance déguisée qui conduit aux catastrophes que nous connaissons. Il y a d’autres livres récents publiés dans la petite collection Mille et Une Nuits, notamment La domestication de l’Etre. Il y a aussi un autre texte de lui, à peu près contemporain, qui a fait un scandale en Allemagne. Parce qu’il parlait de l’Anthropo-technologie, certains ont compris qu’il était partisan de toutes les manipulations génétiques possibles et imaginables, alors que pas du tout. Il part de Heidegger aussi bien que du marxisme, bien qu’il en fasse la critique naturellement, mais il n’a pas peur de prendre des sources différentes et de les combiner. De même pour Bloch ; il n’en parle pas beaucoup, mais on sent bien que c’est important pour lui. Il a commencé depuis pas mal d’années un gros ouvrage en trois volumes dont j’ai les deux premiers en allemand : Sphères. Le premier s’appelle Bulles, et c’est la bulle individuelle, où il y a toujours un double. Le deuxième, c’est Globes, la politique, les empires, la globalisation. Le troisième sera sur la globalisation dans son sens actuel, la perte ou l’abandon du milieu, du centre, si je puis dire, le morcellement et la désolidarisation des individus, mais aussi sans doute les mises en réseaux nouvelles et originales, rendues possibles, entre autres, par les nouvelles technologies, bien appliquées. Cela doit s’appeller Ecumes. Des titres déjà très alléchants. Le premier est traduit en français. Il y a aussi pas mal d’illustrations : comme professeur d’esthétique, il se base beaucoup sur l’art. C’est un ami de Wolfgang Rihm, il le cite parfois. Voilà, je pense qu’on en a assez dit pour aujourd’hui, je vais aller préparer le repas (rires).


Note-souvenir de Henri : Agon a été donné au Domaine Musical en 1953… dirigé par Stravinsky lui-même. Non, composé entre 53 et 57, année de sa création à N.Y., ce ballet a certes été dirigé plus tard (je ne sais où) et enregistré par Stravinsky, et Boulez, qui me faisait reproche de l’admiration que je lui portais, l’a finalement dirigé, encore beaucoup plus tard. Ce qui fut joué au 1er concert du Domaine musical en 53, dirigé si je me souviens bien par Herman Scherchen.


troisième dialogue : Waterloo, le 12 septembre 2003

cette fois l’entrevue se fait dans son studio, en sous-sol.

J’aimerais, cette fois, que cette heure soit consacrée à un aspect plus théorique… mais avant cela, comment, selon vous, l’oreille s’est-elle habituée aux dissonances ?

Il y a des compositeurs qui ont exploré des modulations lointaines, déjà, Roland de Lassus, Gesualdo… ils ont exploité le chromatisme, même dans les harmonies, ils avaient des accords parfaits qui ne devaient pas être parfaits du tout sur certains degrés. Roland de Lassus, à dix-neuf ans, a écrit les Prophéties de la Sybille, quand il était maître de chapelle – à dix-neuf ans – à Saint-Jean-de-Latran à Rome. Un duc de Gonzague, qui était de Naples, était passé à Mons et l’avait entendu comme petit chanteur et l’avait emmené avec lui – peut être qu’il lui plaisait bien aussi à d’autres points de vues, parce qu’à l’époque c’était assez fréquent que les princes s’approprient, ou des filles ou des garçons. Il a donc été à la cour de Naples où il a témoigné de son talent dans les compositions puis, il a été engagé comme maître de chapelle, à Saint-Jean-de-Latran une des grandes églises de Rome. Il y a écrit les Prophéties de la Sybille – ce sont uniquement des consonances sur des accords soi-disant parfaits mais avec des rapports lointains; comme on trouve un peu plus tard dans Gesualdo et chez quelques autres, Vincenzo Galilei, le neveu du grand Galilée, Galileo Galilei – certaines de ces harmonies devaient être très tendues, tout en étant des consonances théoriques.

…autant de preuves d’une non-évolution en musique comme on ne peut parler d’évolution en Art, se sont plutôt des variations selon les époques historiques…

… il y a des évolutions selon toutes sortes de points de vues, il y a des « évolutions » mais il n’y a pas progrès, c’est très vrai. Le chant grégorien est aussi parfait que la plus belle pièce de Stockhausen. Une pièce de chant grégorien peut être aussi émouvante, aussi captivante…

Pour la première fois, peut être, dans l’histoire des civilisations, il nous est loisible de d’écouter, d’apprécier ou de comprendre, non seulement les musiques des siècles passés, mais aussi les musiques extra-européennes…

Il faut quand même dire qu’à différentes époques on a eu un regard sur le passé…

à la Renaissance…

Oui, à la Renaissance mais c’était une vision tout à fait déformée. L’opéra voulait reprendre la tragédie grecque et dieu sait que ça na pas grand-chose à voir, sauf peut-être pour les données anecdotiques de certains thèmes – encore qu’on a pas repris, à ma connaissance, beaucoup de grands thèmes de tragédie dans les opéras, ce sont d’autres thèmes mythologiques – Orphée, il n’y a pas de grande tragédie grecque sur Orphée…

Dido et Enée…

Dido et Enée, non plus, ce sont des choses plus sentimentales, en quelque sorte… Tandis que chez les grecs, Œdipe… il n’y a pas d’opéra là-dessus – sauf récemment. Le haut Moyen Age, après les périodes de grands troubles de la fin de l’empire romain, quand tout s’est re-stabilisé durant l’époque Mérovingienne mais surtout Carolingienne, à travers les théoriciens musicaux, d’Italie surtout, a repris une musique qui, quand même, reprenant les échelles musicales des Grecs mais en les transformant aussi, il est vrai. Si l’on réfléchit bien, dans la musique du Moyen Age, dans le développement de la polyphonie, il y a toujours la présence du chant liturgique – qui est évidemment une chose archaïque, ancienne, mais qui est considérée comme intemporelle – c’est comme la parole de Dieu descendue sur terre et sur laquelle on se base, alors. Au début, du moins, puis petit à petit, le doute devient de plus en plus grand. Il y a cette présence-là, en tout cas. Et cela va jusqu’à Bach parce que le choral luthérien est lui-même une transformation du chant liturgique catholique, grégorien et autres.

le grégorien apparaîtrait vers quelle époque ?

le grégorien prend ses sources à toutes sortes d’endroits. Il y a les chants de la synagogue, repris par les chrétiens à Rome à travers tous les déplacements progressifs des communautés chrétiennes. La base est une musique orientale, sémitique. Il y a des hymnes grecs et des hymnes romains. Puis ça se combine même avec des chants germaniques… puis on ne sait pas très bien. c’est tout un ensemble de sources qui ont été utilisée par les premières églises occidentales, pendant que se développait aussi une musique à Byzance. Il y a eu aussi des influences réciproques, il y a eu beaucoup de contacts entre les deux empires – celui de Charlemagne et celui d’Orient. L’empire d’Orient connaissant une forme de polyphonie rudimentaire qui était des bourdons très longuement tenus avec le chant par-dessus. Je me rapelle d’André Souris faisant une conférence sur la musique, il avait l’art de mêler toutes sortes de choses et de les comparer, disant : quand on écoute une musique byzantine, on a pas l’impression d’une ligne tenue, on a plutôt l’impression d’une couleur qui envahit l’espace, d’un son de fond qui est là, doré, comme dans une icône. C’est vrai, le son n’est pas une ligne, c’est seulement dans sa représentation graphique comme on peut éventuellement le représenté comme une ligne avec une hauteur etc. Mais une fois qu’il est là, dans un état statique, il envahit l’espace et lui donne une couleur et les figures musicales qui se développent, le font plutôt devant qu’au-dessus ou qu’en dessous. Pour le chant grégorien, il y a un corpus qui s’est constitué, aggloméré, si je puis dire, et où les différentes sources se sont influencées mutuellement. Il y a des genres, à l’intérieur, qui se sont plus ou moins attachés à telle ou telle source. Les Psaumes, par exemple, sont plutôt issues de la synagogue. Mais l’élaboration de tout cela dure des siècles… Les moines recopiaient cela dans les abbayes, des grands théoriciens y travaillaient et le pape Grégoire – de la même manière que David qui n’est pas l’auteur des psaumes mais le commanditaire (peut être en écrit-il certain) – Grégoire probablement aussi a été le maître d’œuvre d’un travail de compilation, de réorganisation. Du reste, son travail s’opposait à d’autres centres. Milan, par exemple; avait son centre – le chant Ambroisien, qui devait être de même nature mais qui avant des différences, le chant Gallican, en France, le chant Mozzarabe en Espagne – c’était des variation de ce que l’on nomme aujourd’hui, globalement, le chant grégorien. Probablement le Mozzarabe avait des influences arabes, d’ailleurs, il y avait des techniques vocales tout à fait différence de ce que l’on peut entendre aujourd’hui. Sauf qu’il y a certains musiciens récents, spécialistes des musiques anciennes, qui commencent à réutiliser ces techniques, en allant écouter des musiques ethniques, imaginent ou essaient de reconstruire comment cela devait être réellement. C’est une approche qui saute par-dessus les reconstitutions occidentales qui elles aussi ont duré des siècles, et qui, par rapport, au chant grégorien, ont été un appauvrissement considérable mais qui, naturellement, ont donné autre chose… Bach, par exemple, utilise le choral luthérien qui est lui-même fait à la fois de chants grégoriens, simplifiés, rendus plus populaires, avec des structures plus simples, pas de vocalise… pour que les foules puissent chanter. C’était la communauté évangélique. Il les utilise comme base et c’est toujours la parole de Dieu. C’est Adorno qui a trouvé cette image, c’est un hommage que je lui rends, je me rappelle l’avoir entendu dire cela lors d’une conférence à Darmstadt. C’est une très belle idée. Parce que là aussi je devrais atténuer ce que je disais à son sujet – bien que je maintienne sa différence avec Bloch (rires). Il y a cela chez Bach, il construit tout sur les chorals variés, les grandes cantates où il y a beaucoup de choral, même dans les Passions, on le sait bien. Certaines Cantates se sont d’ailleurs que des variations sur un choral. D’autre part, dans sa musique, comme dans beaucoup d’autres musiques de l’époque d’ailleurs, il y a comme une espèce de bipolarité entre une musique « antique » , c’est-à-dire une polyphonie – plutôt dans ses pratiques que dans son langage, d’ailleurs – parce que dans son langage, elle est déjà tout à fait tonale aussi mais son écriture linéaire ressemble à la polyphonie de la Renaissance, si l’on veut. Mais pas beaucoup plus que la polyphonie de Webern – mais pas beaucoup plus… (rires). Il y a des pièces d’orgues qui sont extrêmement sévères et qui font penser à travers un certain nombre d’intermédiaires, comme Titelouze en France, à des musiques de la Renaissance. Mais alors, il y a la musique à l’italienne, les musiques « modernes » avec les musiques instrumentales, les ornements, je ne parle pas seulement des ornements qu’on pouvait ajouter mais de l’ornementation de l’écriture elle-même – toutes les gammes. Dans les Variations Goldberg, par exemple, tout le travail sur les tissus de variations…

qui est la composition…

qui est la composition, oui. Mais qui n’est plus un choral mais une base harmonique bien précises – un chemin, un parcours harmonique – circulaire, d’ailleurs. Très intéressant de le comparer à Beethoven, par exemple, qui a aussi composé un cycle de variations pratiquement égal. Michel Butor, dans son livre sur les 33 variations sur la valse de Diabelli de Beethoven, a montré que l’ensemble des variations – qui fait 34 pièces puisqu’il y a la valse de Diabelli au début, était une projection du thème lui-même, parce que le thème qui comporte 32 mesures, a une anacrouse à temps levé : pia-la-lim-tan-tan-la, il y a une barre de mesure après le premier pia-la et puis quand on arrive à la fin première partie, parce qu’on reprend la fin de chacune des deux parties, il y a une barre de mesure au milieu de la mesure. Il faut bien réintégrer l’anacrouse et il y a une anacrouse pour le deuxième partie – la dernière mesure serait donc incomplète. Il y a donc 34 unités métriques. Il y a le pia-da qui correspond au thème de Diabelli, c’est en effet caractéristique, ce genre de petit motif et la mesure finale correspond au menuet final que Beethoven a inventé pour être une espèce de transfiguration du thème de Diabelli. Et au milieu, exactement au milieu, il y a deux variations symétriques qui sont comme la variation coupée en deux du thème. Butor a démontré que tout cela est construit de façon incroyablement régulière tout en donnant l’impression d’une très grande variété, d’asymétrie. Jusqu’alors tous les théoriciens, les musiciens les plus rompus, les analystes comme Boucourechliev qui a beaucoup écrit sur Beethoven ont dit : c’est une œuvre échevelée, inanalysable et c’est Butor qui a dû leur montrer que « non, non pas du tout… » (rires). Les Variations de Bach, par contre, c’est un thème comme celui de Beethoven, de 32 mesures, mais sans anacrouses, donc 32. Il se fait qu’il y a les 30 variations mais il y a le thème et on reprend purement et simplement l’aria – on la reprend à la fin. Il y a donc 32 pièces. Et le thème du début et de la fin, c’est la tonique. Et donc chez Bach, alors, le parcours harmonique est assez proche de celui de Beethoven, c’est-à-dire qu’au milieu, en tout cas, on atteint ce qu’on appelle la dominante qui est le grand pole rival, si vous voulez, de la tonique et puis on retourne, chez Beethoven on avait un aller / retour. Du reste ce n’est pas chez Beethoven mais chez Diabelli, Beethoven va vous transformer tout cela de multiples façons. Chez Diabelli, c’est bien un comportement de marchand, il sort de sa tanière et va s’approprier quelque chose et retourne dans sa tanière (rires) comme un prédateur. Mais Beethoven va transformer tout cela. Tandis que Bach, c’est un parcours qui va avoir la dominante mais qui va d’une façon un peu plus complexe et puis, surtout, qui après, ne retourne pas tout de suite mais qui continue le circuit et revient à son point de départ, en quelque sorte, en faisant le tour de la terre. C’est un parcours beaucoup plus circulaire. Ce n’était pas encore le capitalisme marchand du début du 19ème et c’était une société – protestante en particulier, qui mettait l’accent sur la communauté, la collectivité et on venait de découvrir… on s’intéressait beaucoup aux autres empires… à la Chine. Tandis que du temps de Beethoven, on commençait déjà à les coloniser sérieusement. Il y avait eu aussi des émancipations, les premières colonies s’émancipaient.

Il est souvent dit que Mendelssohn avait fait redécouvrir Bach…

Oui, c’est vrai, on l’a dit mais c’est vrai.

C’est que ces gloires étaient relativement éphémères, dans un sens…

Oui, encore que – c’est vrai qu’on oubliait beaucoup plus vite la musique du siècle précédent ou même de la génération précédente. Les fils de Bach ont beaucoup appris de leur père mais ils ont fait une autre musique mais je ne dirais pas qu’ils ont oublié leur père, sûrement pas. Certains d’entre eux ont eu des contacts ultérieurs avec de grands musiciens, Jean-Chrétien, qui était un fils plus jeune de Bach, après Carl-Philipp-Emmanuel et Wilhelm-Friedemann, Jean-Chrétien qui a vécu à Londres et qui a très bien connu Mozart, avec qui il était très lié, a fait découvrir à Mozart des œuvres de Bach qui d’ailleurs, n’étaient pas oubliées complètement. L’Art de la Fugue et Le Clavier bien Tempéré avaient été édités, ainsi que les Variations Goldberg. Beethoven les a donc connus. Mendelssohn a redécouvert La Passion selon Saint-Mathieu, les grandes œuvres chorales. Mais Bach n’était pas complètement éteint.

On parle là de musiciens ou de gens spécialisés dans la musique et qui avaient cette connaissance, on pourrait cependant dire qu’aujourd’hui tout le monde peut avoir un disque de Bach, chez lui, c’est toute la différence…

bien sûr mais l’imprimerie, la publication, a déjà été une étape. La Haussmusic des pays germanophones, mais pas seulement. cela a même commencé en Angleterre parce que l’Angleterre a été une des premières à s’émanciper sur le plus politique. A Anvers, il y a eu un grand éditeur. les premières musiques imprimées ont alors circulé à travers l’Europe. c’était, bien sûr, dans des sociétés relativement aisées où on pouvait pratiquer la musique, faire venir des musiciens, apprendre soi-même à jouer, beaucoup de personnes de la bourgeoisie aisée, la nouvelle aristocratie, jouait du clavecin, différents instruments et chantait. et on faisait une pratique de la musique « à la maison » mais la maison était à l’époque un palais. Au début du 19ème, la maison est déjà moins pompeuse, on y fait les premiers concerts, on y invite un peu de public, puis on développe le concert.

il y a aussi un rapport technologique à l’instrument qui change aussi les choses : un piano tel que Chopin ou Liszt utilisaient, pouvaient remplir des espaces sonores beaucoup plus grands, donc des capacités de public plus grandes…

oui, c’est vrai, c’est capital, mais le fait que le piano était déjà à la maison, de plus en plus … le piano est un instrument du mobilier bourgeois du 19ème siècle, il y en a presque partout et les demoiselles, en particulier, jouent une musique de salon mais pas seulement. j’ai trouvé chez ma grand mère quand j’étais assez jeune une pile de musique de salon, j’en ai gardé quelques unes pour l’amusement.

qu’appelez-vous « musique de salon » ?

les pièces écrites spécialement écrites pour ce genre de pratique. Les patineuses de Saint-Petersbourg… des choses comme cela. Tout un répertoire pour le piano, spécialement.

… qui est tout à fait oublié aujourd’hui…

qui est pratiquement oublié, oui. J’ai cité une pièce qui est à la limite entre la musique de salon et la musique de concert d’un compositeur norvégien qui s’appelle Sinding. Il avait écrit une pièce extrêmement populaire, aussi populaire que l’Elise de Beethoven, par exemple. ce qui était un premier exemple de musique de salon – c’était fait pour une jeune fille d’ailleurs… Beethoven a écrit d’autres pièces de salon mais peu – ça prend toute suite une dimension plus ambitieuse, plus riche. Sinding a écrit une pièce qui s’appelle Printemps qui a un très joli motif. Dans celle que j’ai écrite en 75, qui s’appelle Modèle Réduit pour un duo clarinette basse et piano pour Due Boemi di Praga qui me l’avait commandé. c’était après l’écrasement du printemps de Prague, bien entendu. c’est un mobile, avec des fenêtres, il y a des titres, les saisons etc., il y a, au milieu, une scène que l’on peut censuré, il y a deux versions possibles, une avec et une sans la scène – qui ont des structures un peu différentes et des titres un rien différents. cette scène, elle-même, commence par une valse. Toute la pièce est faite sur des blocs d’accords, une série d’accords parallèles de neuf notes, l’accord générateur (qui se transpose), dans sa première version, ce sont des lettres « musicables » d’après la gamme allemande du nom d’Alexandre Kubcek qui était le chef du gouvernement du printemps de Prague. Les transpositions se font sur une série de quatre petites séquences qui est une espèce de squelette de l’Internationale. toute l’improvisation se fait là-dessus. on entend par moments des fragments de l’Internationale qui passe à travers, on entend une petite phrase ou même un accord parallèle, c’est là, comme ça, à l’état latent, quelqu’un qui écoute bien devine ce qui se passe. et puis, tout à coup, les dernières pages à fenêtres avant la scène font apparaître des fragments de la scène dans les fenêtres qui se combinent avec d’autres éléments, donc, on entend des petits morceaux de la scène, comme des situations, puis la scène apparaît, puis re-disparaît à peu pres de la même façon. Et cette scène est une valse qui commence comme l’Internationale. ta-talilalam paii talilalam pali… voyez l’Internationale, resserrée, en quatre phrases qui sont les quatre phrases dont j’ai parlé et qui sont… printanières, quoi. (rires). Puis elle revient. La première fois qu’elle apparaît piano, c’est la clarinette basse qui joue, un violoncelle peut la joué aussi, ou un autre instrument grave, basson à la rigueur, et le piano accompagne avec des accords tout à fait congruents – tonalement, on reconnaît donc très bien, certainement phrases mais on se demande quoi, quand elle revient les accords sont déjà plus dissonants et ça commence à diverger, il y a une combinaison entre les deux, ça devient ensuite de plus en plus fou, ça se met à tournoyer et c’est là-dessus qu’intervient alors le piano avec une Internationale à 4 temps, martiale et brutale – pi-na-nam pam-pam-pam-pam qui interrompt la valse et qui la casse, l’écrase. un speudo-communisme autoritaire qui écrase un communisme d’avantage vrai, libertaire, printanier qui essaie de surgir. Modèle Réduit, ça veut à la fois dire que les pièces mobiles comme cela sont des modèles réduits – c’est une pensée de Bloch, cela, les œuvres d’art, sont des modèles réduits de la vie en société sur lesquelles on peut pratiquer des preuves par l’exemple. on peut essayer des choses pour voir si ça marche. Il parle surtout du théâtre mais il dit dans le Principe-Espérance : il n’y a pas encore de pièce où le public pourrait intervenir, interrompre et orienter l’action autrement mais toute les grandes pièces, dit-il, comportent cela d’une certaine façon à l’état virtuel. Il y a des thèmes que l’on retrouve dans plusieurs pièces, chez Brecht, par exemple, Celui qui dit oui et Celui qui dit non – ce sont deux pièces mais symétriques. Et le thème de Faust, justement, est un thème qui a connu toutes sortes d’épilogues, c’est pourquoi nous l’avons pris pour faire Votre Faust. Je l’ai proposé à Michel Butor parce que ce pouvait être un jeu qui aboutit à des fins différentes. Et puis, j’ai découvert le texte de Bloch après, vous vous rendez compte comme cela m’a fait plaisir de lire une chose pareille de la part d’un penseur de cette dimension. Mais Modèle Réduit c’est aussi le modèle tchèque du socialisme qui est, ici, réduit. C’est une belle pièce, comme une grande sonate. Elle n’a longtemps pas été publiée parce que mes éditeurs ne voulaient plus éditer de genre de pièces mobiles avec des fenêtres etc. C’était trop compliqué à faire. (rires)

revenons à la découverte et aux liens forts des débuts…

quand je suis arrivé à Liège, j’ai été happé par la découverte du dodécaphonisme, j’en étais reste à Debussy et Ravel dans mon petit patelin de Malmedy… j’ai été pris par le dodécaphonisme dans sa généralité mais très vite, quand même, déjà lors de cette expérience de la conférence de Froidebise, il y a avait eu la création des Variations de Webern. c’est la musique, qui à mes oreilles, m’était apparue la plus étrange ou étrangère ou neuve ou inexplicable, je ne sais comment dire. En même temps, très vite, c’est celle qui m’a le plus fasciné, tout comme Edouard Senny, qui était aussi compositeur, il en avait fait une analyse fouillée et était lui-même très convaincu de la proéminence de Webern. Et puis alors, par Boulez que j’ai d’abord connu par ses écrits, après l’avoir rencontré, ensuite, après l’expérience de la 2ème cantate avec Karel Goeyvaerts… les discussions qu’on avait, on avait une vie très intense sur le plan de la découverte.

il y a, aujourd’hui, une sorte de nostalgie par rapport à la théorie, à l’avant-garde… un temps où il y avait clairement une inertie à combattre… maintenant on opère davantage de façon communautaire… on assiste à une communautarisation des musiques, tout est possible mais le cadre est réduit et cela ne touche plus qu’une population restreinte…

c’est alors que mon enregistreur s’arrête de fonctionner.

cela met fin à mon troisième entretien, préparation au film Hommage au sauvage que je fis l’année suivant avec Dominique Lohlé. les quatre phonogrammes en sont extraits.