MASSACRES

publié par Gilles Collard dans la revue Pylônes #9, novembre 2013

compositeurs ou interprètes juifs assassinés dans les camps par le régime nazi, votre musique sera interprétée, votre mémoire gardée tant que l’on peut, vos vingts noms parmi tant d’autres.

Viktor Ullmann, tes parents s’étaient convertis au catholicisme bien avant ta naissance, cela n’a pas suffit, Arnold Schoenberg, Alexander von Zemlinsky ont été tes professeurs. Presque tout ce que tu as écrit a disparu. En 1944, dans le camp de Theresienstadt, après deux ans d’internement, tu réussis à mettre sur pied ton opéra Der Kaiser von Atlantis, un mois plus tard, tu fus gazé à Auschwitz

Gideon Klein, tu as donné ton premier concert de piano à 14 ans, plus tard, tu fus l’élève d’Alois Hába et tu voulus aller à la Royal Academy of Music de Londres, on ne te le permit pas. Tu te retrouvas au camp de Theresienstadt avec Viktor Ullmann, Hans Krása, Pavel Haas, tchèques et musiciens, comme toi. En 1944, à l’âge de 25 ans, tu mis la touche finale à ton Trio pour cordes, neuf jours plus tard, tu fus déporté à Auschwitz et on perdit ta trace. 

Hans Krása, jeune, tu voyageas, tu connus Alexander von Zemlinsky et Albert Roussel. En 1938 tu écrivis un opéra pour enfant Brundibár, tu ne pus le faire jouer qu’au camp de Theresienstadt avant qu’un train ne t’emporte pour Auschwitz où l’on te gaza.

Anna Hanusová-Flachová, tu avais treize ans quand tu chantas dans Brundibár, au camp de Theresienstadt.

Robert Dauber, tu suivis les traces de ton père, musicien, lui aussi, tu devins violoncelliste, tu fus envoyé au camp de Theresienstadt, on sait que tu participas aux représentations de Brundibar. Au printemps 1944, tu fus envoyé à Dachau où tu mourus du typhus. Ta seule œuvre connue est conservée quelque part dans les rayonnages de la Bibliothèque Nationale d’Autriche à Vienne.

Rudolf Karel, ton père était employé au chemin de fer à Pilsen, jeune, tu as rencontré Antonín Dvorják et tu partis étudié la composition avec lui à Prague, c’est aussi là que, bien plus tard, tu participas à des actes de résistance à l’occupant nazi. Emprisonné, puis déporté à Theresienstadt, avant d’y mourir, tu parvins à écrire Tri vlasy deda Vseveda (Les Cheveux d’or du Père Grand-Savoir), un opéra ainsi qu’une pièce pour neuf musiciens qui ne reçut jamais de numéro d’opus.

Fritz Weiss, très jeune, tu te pris une passion pour le jazz et tu devins clarinettiste, comme tes amis du Ghetto Swingers, tu participas à des concerts au camp de Theresienstadt, déporté à Auschwitz, en 1944, tu y fus gazé.

Pavel Haas, lorsque tu composas tes premières pièces, tu travaillais encore dans le commerce de son père. Dès 1941, tu fus déporté au camp de Theresienstadt. Tu y composas encore huit œuvres dans le secret, dont quatre lieder sur des poèmes chinois. Tu ne pus, par contre, terminer ton grand œuvre, une symphonie, car tu fus gazé à Auschwitz en octobre 1944.

Heinz Alt, un jour, tu te retrouvas avec Viktor Ullmann, Gideon Klein, Pavel Haas, et Hans Krása au camp de Theresienstadt. Tu y écrivis tes 6 Miniatures pour piano et c’est Viktor Ullmann qui le joua. Un an plus tard, tu fus déporté à Auschwitz, on perdit ta trace.

Elkan Bauer, tu n’as jamais su ni lire, ni écrire la musique mais les mélodies que tu sifflais, retranscrites, étaient jouées sur les kiosques de tout Vienne. Très âgé, tu fus déporté dans le camp de Theresienstadt, tu y mourus très vite.

Ilse Weber, à Prague, dès l’âge de 14 ans, tu commenças à écrire des contes et à les réciter de ta belle voix, tu écrivis des pièces de théâtre et des chansons que tu accompagnais au luth. Tu fus déportée avec ton fils Tommy dans le camp de Theresienstadt en février 1942. Tu y travaillas comme infirmière pour enfants. Vous fûtes tous les deux gazés à Auschwitz.

Sim Gokkes, le cantor Victor Schlesinger fut ton ami et ton professeur, pendant quatre ans, tu dirigeas le chœur de la synagogue portugaise d’Amsterdam, tu composas un innovant Kaddisch pour voix et piano. Avec ta femme, la pianiste

Rebecca Winnik, et David et Rachel, vos deux enfants, vous furent assassinés à Auschwitz, le 5 février 1943.

Karel Ančerl, comme les autres, à Prague, tu fus interdit de travail dès 1938 et tu entras dans la clandestinité. Tu fus transféré au camps de Theresienstadt et là tu dirigeas un orchestre que tu formas. Envoyé à Auschwitz, tu survécus miraculeusement cependant que ton père, ta mère, ta femme et ton fils y furent assassinés.

Erwin Schulhoff, enfant prodige pragois, avant-gardiste militant, auteur du féroce Ogelala (qui donne avant Ionisation de Varèse, une place primordiale aux percussions), communiste, juif, homosexuel, amoureux du jazz et inspiré par Dada, tu fus un protagoniste de choix pour leur Entartete Musik, tu cumulas toutes les raisons de te faire détruire par les nazis. Tu mourus d’épuisement et de tuberculose dans le camp de Wülzburg.

Nico Richter, ton père Izaak était dentiste à Amsterdam, mais toi tu voulus être musicien, tu connus Hermann Scherchen à Bruxelles, il dirigea même ton Concerto pour violoncelle. Quand ta sœur émigra aux Etats-Unis, toi, tu voulus rester. Tu épousas la violoniste Hetta Scheffer. Une nuit d’avril 1942, tu fus interné à Amerfoort, suivirent une série de transferts, de camp en camp, celui de Vugh où, pendant quelques mois tu fis exister un petit orchestre, puis tu connus l’abomination de Westerbork, Auschwitz, Dachau. En 1945, tu revins chez toi dans un tel état d’épuisement que tu y mourus avant tes trente ans.

Casimir Oberfeld, né en Pologne, tu aimas toujours le music hall et la France. Dans les années trente, tu y composas des centaines de chansons dont certaines furent très célèbres. Que fis-tu lorsque tu fus déporté à Auschwitz ? Quand les traîtres, André Montagard et Charles Courtioux, détournèrent le thème musical d’une de ton opéra-bouffe pour en faire la musique de Maréchal, nous voilà !, l’hymne de Vichy ? Toi qui expiras à Auschwitz à l’âge de 42 ans.

Józef Koffler, né en Pologne, tu fus l’un des représentants clé de l’avant-garde dans ton pays, tu fus un pédagogue éclairé et obtins une chaire de composition pour la musique dodécaphonique à l’académie de la ville de Lviv. On ignore la date exacte de ta mort, on sait seulement que tu t’y cachas avec ta famille et que, tous, vous fûtes exécutés sur la place publique. Et que presque toutes tes partitions furent détruites.

Mordechai Gebirtig, tu composas des centaines de chansons en yiddish, on te nomma le dernier brodersinger, tu écrivis des chants nostalgiques mais aussi de révolte Arbetlozer marsh (la Marche des chômeurs) ou S’brent (Au feu !), qui devint le chant des combattants des ghettos. Tu vécus toute ta vie dans le quartier de Kazimierz à Cracovie, avec ta femme et tes trois filles, tu y réparais de vieux meubles. Tu fus fusillé par les nazis dans la rue, le 4 juin 1942.

Alice Herz-Sommer, enfant, à Prague, tu connus Kafka et tu jouais avec sa sœur. Tu devins, très jeune, une excellente pianiste. Déportée à Theresienstadt, tu interprétas de nombreuses pièces dont celles de Viktor Ullmann. En 1944, ton mari fut déporté vers Auschwitz, il y fut assassiné. Toi, tu survécus et à l’heure où j’écris, à plus de cent ans, tu vis encore quelque part dans la banlieue de Londres et tu déclares que le monde est stupéfiant, plein de beauté et de merveilles, et tu te demandes encore comment notre cerveau, la mémoire, fonctionnent. Sans parler de la musique, dis-tu, la musique est un pur miracle.

14 août 2013