Moondog, pulsations

Pulse

Il y a l’histoire telle qu’elle s’édifie, ceux qui la font, l’inscrivent, s’imposent à elle avec cette sorte de nécessité, ils émergent ainsi de leur époque et se mettent triomphalement à la représenter, ce sont eux qui font le Temps Présent, les autres, presque tous, ne font que les suivre – et d’autres encore, peu, marquent la plus grande indifférence, soit par leur nature particulière, soit par volonté. Qui fut Henry David Thoreau à son époque ? Quels étaient les écrivains les plus lus en ces temps, les philosophes les plus représentatifs, les politiciens qui ont marqué ? C’est qu’aujourd’hui Thoreau est devenu la référence, et non seulement la référence de son temps et de son territoire, bien plus, il a créé la représentation mentale que l’on se fait de ce temps. Ainsi Louis Thomas Hardin, l’outsider, le musicien qui se tenait dans les rues de Manhattan, entre la 53ème et la 6ème Avenue, avec son casque de viking et sa barbe de druide (en imaginant que les druides aient des barbes, ce que j’ignore). Le voilà posté dans ces rues sombres (éternellement sombres pour lui), des photographies le montre en hiver, on reconnait, posée par terre, la trimba, l’instrument à percussion qu’il a inventé (peut-être fabriqué). Qui aurait parié quoique ce soit sur cet homme hors du monde ? N’est-il pas alors qu’une attraction ? Ainsi passe-t-on le voir à travers le trafic, une lance à la main, portant son heaume à cornes, le plus souvent silencieux (sa musique, parfois, se confondant aux bruits de la rue). Quel est le rapport entre celui qui se décrit ici et le compositeur mis à l’honneur aujourd’hui ? Quel saut quantique l’a permis ? Il y a forcément un chemin secret, des liens minuscules qui se renforcent. Ce qui était énorme et le fruit de l’époque, s’effondre avec elle, et ceux qui ré-émergent, sont ceux qui n’ont participé à rien de ce qu’il fallait. Cette pureté, cette innocente restaient cachées. Et comme essentiellement l’histoire linéaire est un leurre, ce qui était derrière se tient aujourd’hui devant nous. Mais aussi, il y a eu des fuites, des jeunes gens lettrés (la plupart issus de la Juilliard School) ont saisi la méthode, elle était frappante cette musique sans fin jouée par un être à part, irrésistible ce continuum construit de rythmes complexes et de canons. Puis, le bouche à oreilles des disques vinyles rares, depuis 1953. La captation juste de la musique en son biotope, la justesse de cette captation. La beauté simple de ces enregistrements qui recueille l’atmosphère, la rudesse et la douceur du temps, sa météorologie, même. Ces capsules temporelles s’échangèrent de mains en mains puis de multiple manières. L’histoire se poursuit en ces transmissions fragiles.


Le voilà maintenant au bord du Rhin, cette même stature au bord du Rhin, après la Big Blue River de Marysville où il est né et l’Hudson de New York. Le voilà retourné où il ne fut jamais, vers les ancêtres supposés. Et son émergence s’étend, aux Etats-Unis comme en Europe, ça dépasse les codes, on ré-interprète sa pulsation. On saisit le secret caché de cette rythmique complexe, mi-Bach, mi-boucles de répétitions infinies, comme si les partitions s’enroulaient les unes aux autres. Il y a du J.S. Bach en Moondog, j’y vois une propulsion semblable, irréfutable, sans hésitation, à la fois médiatisée par le corps et dans l’esprit – ça souffle bien – un rien d’Hollywood, en sus, parfois, mais toujours en présence des aborigènes des terres infinies – et le film se crée sans image inutile et se déroule à bonne vitesse. L’hypnose émergeant de la polyrythmique vers un mouvement sans fin. Objet d’une simplicité essentielle auquel s’ajoute un autre objet d’une simplicité essentielle auxquels s’ajoutent une multiplicité d’objets de cette nature. Une musique avec laquelle, on marche bien, d’un bon pas et pour longtemps.

Guy Marc Hinant, Bruxelles, avril 2018.

LIMITED EDITION ART BOOK (84 PAGES) + 2 X 10 INCH VINYL RECORDS

Elpmas revisited:
Played by ensemble 0 : Stéphane Garin, Joël Mérah, Julien Garin, Amélie Grould, Julien Pontvianne, Vincent Malassis.
With the participation of the ensemble Macadam, Vanille Fiaux & Jonathan Seilman, Tomoko Sauvage, Barbara Hünninger, Aude Guillevin, Rodolphe Alexis.
Book illustrated by Gwénola Carrère, Étienne Beck, Guillaume Trouillard, Juliette Léveillé, Bonnefrite, Soia, Vincent Fortemps, Laurent Bourlaud.
Texts by Amaury Cornut, Patrick Gyger, Guy Marc Hinant, Blandine Rinkel.
Recorded at the Auditorium of the Carcassonne Conservatory and at the GMEA – Centre National de Création Musicale d’Albi-Tarn.