Texte publié par Caietele Tristan Tzara / Les Cahiers Tristan Tzara à l’initiative de Vasile Robciuc, Bucarest, 2010
pas de bonjour et pas d’adieu Rangoon 48 papa et maman en Birmanie j’arrive le 18 juin 1948 à Rangoon 00.45 Greenwich Time papa maman et moi à Tanworth-in-Arden le jardin la nuit un vinyl de Beethoven tourne la cinquième la septième grésillements dépressif et insomniaque avec ça du Tricyclic et avec ça du Tryptizol je dors tant que ça tourne hors de l’engourdissement Molly papa et maman maman Molly elle fait tant une face fait vingt minutes hors de l’engourdissement comme en France avant le froid pour en finir avec ça se lever aller jusque là et retomber ici retomber ici comme jamais aller jusqu’au haut de la colline et revenir me coucher ici retourner d’ où on vient avec ce qu’on a connu on y revient pas pas comme ça est-ce ainsi que l’on se retourne vers le haut le bas qu’on s’endort c’est pas clair mou ou raide avec son visage et ses cheveux plats longs son sourire je n’ai pu y aller pas à ma place et la langue la langue le français son sourire je voulais écrire une chanson pour elle pour sa voix il y a longtemps lui ai téléphoné n’ai rien dit je suis resté dans le studio je me sentais mal pas comme maintenant pas comme à Hampstead j’allais manger un tandoori déjà à Hampstead près du clôt de Keats et j’y étais j’aurais voulu que ou travailler pour toi ici ou là et que les mots se suivent gauches mes mains mes bras ballants et ma guitare les cinq feuilles qui restent à Rangoon avec ma sœur Gabrielle c’est mieux ainsi avec Molly et ses livres et père rester dans le noir comme toujours ne pas s’endormir dans le jardin Rodney me tenait compagnie quand Joe est parti travailler ailleurs là où je ne voulais pas aller pas à New York loin de tout du jardin d’elle mais il va bien falloir quitter ça pour le disque qui tourne aller à Londres encore au centre je cherche du travail dans les ordinateurs cherché seul à l’hôtel seul y rester ne me suis pas rendu à l’endroit où rien n’y fait et j’ai été en colère pas de mal sans rien dire à personne parce qu’il n’y a personne Joe parti est parti et les autres récoltent les fonds Martyn je lui ai dit mais il faut y retourner pour s’excuser il faut s’excuser de ce qu’on est parce qu’on est comme ça ne plus rien ressentir comment jouer plus de mots ici je ne vois plus dans quoi j’étais il n’y a plus d’émotion pour ainsi dire c’est ainsi mort intérieurement et intérieurement muet pas capable de pourquoi rire ou pleurer ne veux plus rien vieux blues qu’on rejouait je ressens rien je te le dis je me suis dit que quelque chose était comme qui dirait mort laisser la bande au comptoir trop court juste ça vues du parc les feuilles qui tombent les arbres nus les arbres noirs arbres fruitiers en mai pas moyen de partir ça flotte ils faisaient des étalages avec des marrons des feuilles mortes je n’ai pu rien répondre parce que c’est impossible de dire qu’à vingt-six ans pas question de faire de la promotion ni pour Joe ni pour un autre ne le puis mais j’ai commencé ma chanson et l’ai arrêtée en plein milieu désaccordé la plage était loin le jardin et le nuit sans personne j’ai pris des choses qui m’ont fait voir le vide et je me suis retrouvé comme ça devant les gens dans le vide avec des cordes qui cassent et se désaccordent c’était un accident une fêlure deux trois chansons pour quarante écrites avant et pas de concerts pour moi rien de spectaculaire de ça à l’obscurité ça arrive vite quand y a moins de mots porter le fardeau pas passé à la session les gens m’ont attendu pour rien bras ballants souriant devant elle dans une langue inconnue il y a longtemps le regard du chien noir dans la nuit du jardin de mon père et de ma mère qu’ils se couchent sur moi et j’irai avec ma voix vers la bibliothèque je me dirigerai les yeux fermés et choisirai un livre au hasard mauvaise information ne suis pas passé ont attendu moi timide elle un long modèle une énigme j’ai arrêté cela et les gens me regardaient sans patience après les mots la fin des mots il y a eu des voix des voix dans une montagne et des voix derrière les portes personne ne donne ses conclusions et je suis rester là seul seul un dix-huit juin à Tanworth-in-Arden dans le jardin de mes parents où je vieillis et je ne rentre pas à la maison rentrer à la maison y être vouloir aller dans un jardin verger arbres fruitiers ici les pelouses et la pluie et tout ce qui reste l’hiver maintenant quand j’ai arrêté mon concert en plein milieu cordes cassées et que les gens ont
Commentaire
Nick Drake est un musicien anglais qui en trois disques, Five Leaves Left (1969), Bryter Layter (1970) et Pink Moon (1972), a changé la scène anglaise au tournant des années soixante-dix. Dépressif, constatant que son travail n’a aucun impact sur le public, Nick Drake se suicide à 26 ans. Ce texte, construit comme le flux possible de ses ultimes pensées, est un hommage autant qu’une forme d’autobiographie brouillée
printemps 2009