dernier récit des temps sombres, enfin ici

il y a longtemps, ici, il y avait des murs de barbelés, lorsque les autorités françaises ont déclaré territoire national les zones de leurs comptoirs. un ministre du Front populaire avait signé le décret, il suffisait de l’appliquer, son nom m’échappe.

on a souvent négligé la volonté colonialiste des socialistes. enfin, eux comme les autres, je veux dire. pas eux en particulier. c’était l’affaire de tous. les colonies c’était l’affaire de tous. je suis venu briser le dos de l’Inde mais c’est elle qui a brisé le mien – un autre son de cloche, celui développé (ou plutôt hurlé) par un gallois, des décennies plus tard. des hectolitres de gin ont traversé les corps comme des fantômes liquides. tout cela s’est passé. reste ce qui reste. je vais tenter une description systématique des gens d’ici, les vendeurs, les armateurs, les domestiques, ça me changera de l’auto-apitoiement et de mes lettres misérables à la famille. lorsque je suis revenu ici, après trois ans à Bali, c’est l’air que j’ai retrouvé et cet air a effacé les tensions du passé. c’est un passé plus lointain encore qui l’a remplacé. le son est plus ouvert, là-bas, tout était comme absorbé par la jungle. grand l’accablement d’être en pleine chaleur quand rien ne bouge et qu’un oiseau chante toutes les dix minutes de façon mécanique, sans joie, sans rien, vraiment une machine de souffrance pour rien. du plomb dans la gorge. sans une ombre à midi tapant. je vais lui écrire, je le voudrais. est-ce que cela a le moindre sens ? mais enfin ici, ici, enfin.

15 février 2019